Vestiges de centuriations romaines et d’un itinéraire pré-romaine dans la plaine de Castellón
André Bazzana
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ANDRE BAZZANA
(Francia)
VESTIGES DE CENTURIATIONS ROMAINES
ET D'UN ITINI!RAIRE PRI!-ROMAIN
DANS LA PLAINE DE CASTELLON
L'occupation antique, et particulièrement la mise en valeur
hispano-romaine, de la plaine de Castell6n de la Plana sont attestées
par de nombreux vestiges archéologiques, répertoriés et analysés par
des travaux antérieurs (1 J. En dehors des témoins architecturaux {arc
de Cabanes, villa de Nules) ou artistiques (Hermès de bronze de Villavieja), l'influence romaine s'inscrit aussi dans le paysage: les traces
de centuriations romaines ont ainsi été relevées et étudiées par Antonio L6pez G6mez dans toute la zone située à l'ouest de Caste1l6n de la
Plana entre la Rambla de la Viuda et les premiers contreforts montagneux (2),
Si les prospections se sont avérées négatives dans le secteur de Villarrea! de los Infantes (3), il semble en revanche que l'étude pourrait
être Feprise et prolongée, d'une part dans la plaine intérieure de Cabanes où l'on peut logiquement supposer l'existence d'une centuriation
liée à la proximité de la Via Augusta (4), d'autre part dans la plaine
{I! D. FLETCHER et J. ALCACER: _Avance a una e.rllueologla romana dela provincia de Caste1l6n».
Bnlolin de la Sociedad CaslellonensB de Cultura XXXI, C." IV, p. 316. Castell6n 1955, el XXXll, C." H,
p. 135. Castelllin, 1956.
F. ESTEVE: oLa villa romana de BenÎcatli (Nulesl~, Penyegolosa, num. 2. Caste1l6n, 1956.
M. TARRADELL et M. SANCH!S GUARNER: IPrehlsl"'ria i Antiguitat. Epoca musulmana., vol. 1 de
HistOria deI Pals Valencià. BaTeelone, 1962.
J. M. DO:NATE SEBASTIA: ~Arqueolog1a romana de vmarraall. Archiva da P""historia Levantlna,
XII. Valencia, 1969, pp. 205-239.
(21 A. LOPEZ GOMEZ: _Poslb!as centuriadones Bn Cestell6n de la PlanlU. Estudios sobre centurie.ciones romanas en Espaila. Madrid, 1975, pp. 129-136.
13) V. M. ROSSELLO VERGER: «El catastro romano en la Espaila dei Este y del SUIl!. Esludios sobre
centunadanes romana" en Espana. Madrid, 1975, pp. 9-33 et cane p. 29.
(4) LOPEZ GOMEZ, op. cit., p. 129.
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A. BAZZANA
littorale autour de Burriana et à l'est de Caste1l6n, de part et cl' autre
du rio Mijares.
C'est cette seconde étude qui est amorcée dalls les notes qui suivent, rédigées à la suite d'un premier travail de prospection sur cartes
et photographies aériennes. Les documents utilisés étaient les suivants:
-Feuilles Villafamés - 616, 1ère édition de 1942, et Caste1l6n de
la Plana - 641, lêre édition de 1942, de la couverture à l'échelle du
1/50.000e publiée par la Direcci6n General deI Instituto Geogrâfico y
Catastral,
-Photographies aériennes, à l'échelle approximative du
1/30.000e, mlm. 5133 à 5138 du 15 mai 1956, mlm. 6800 à 6805 et
mlm. 6851 à 6855 du 9 juin 1956, num. 10557 à 10561 du 4jui11et
1956 (photographies extraites de la couverture générale réalisée par
l'aviation américaine),
Partant de l'information que nous avait donné Norberto Mesado,
directeur du Musée Municipal de Burriana, selon laquelle l'appelation
traditionnelle El Caminds (=de grand chemin», avec -a ou -as augmentatif), encore utilisée et que l'on retrouve sur les cartes topographiques, recouvrait fréquemment des chemins antiques -souvent
antérieurs au Moyen Age- on 8 tenté de vérifier cette information sur
deux coupures au 1/50.000e et sur les photographies aériennes verticales du secteur de CasteIl6n-Burriana-Nules, et de trouver quelques
renseignements attestant son exactitude.
La démarche suivie peut se résumer ainsi:
-Recherche, à partir de (ou des) indication{sl El Caminds ou Camina Viejo, d'un ou de plusieurs tracés possibles pour une voie de
communication ancienne à courte et moyenne distance;
-Essai de mise en évidence des points caractéristiques jalonnant
les itinéraires retenus (5);
-Recherche de l'unité de mesure apparaissant avec une régularité relative entre les points caractéristiques et attestant, éventuellement, l'existence d'un bornage ancien;
-Cartographie des informations recueillies.
(5) La méthodologie appnquéeld est calle qui a été mille au point, en France, lor8 de J'étude, dans
quelques région9, de l'an semble des chew.lns de grande et moyenne co=unicatlon utili9és entre la con
quête romaine et la Ve sléde: on S6 reportera d'abord ft l'exposé méthodologique de base de R. CHEVAlLIER, A. CLOS-ARCE DUC et J. SOYER: ,Essai de reconstitutlon du rliseau routier gallo-romain: Caractères et méthodo8D, Revue Archéologique, nÜlll, 1, 1962, pp. 1-49. Voir ensuite: D. JALMAlN: «Etude des
voies romaines entre Seine et Loire>. Colloque da Cw:tographie Archéologique. Tours, 1972, pp, 111-114
et pl. L 1, 2 et 3.
J HUBERT: des routes de France depuis les origines jusqu'!!; nos jours., Cahiers de Civilisation,
19~9.
R. CHEVALLIER: «Les voies romaines., Parla, 1972.
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VESTIGES DE CENTUIUATIONS
3
, Mais, avant de décrire cet itinéraire côtier, la première observation des cartes et des photographies aériennes verticales faisait apparaître les traces d'aménagements agricoles qui semblaient être des
vestiges de centuriations romaines.
l
LES CENTURIATIONS DE BURRIANA ET DE CASTELLON-EST
Les indices les plus habituels attestent, dans toute la zone côtière,
l'existence de centuriations ou d'éléments de centuriations dont l'extension maximale ne peut être retrouvée aujourd'hui en raison des
bouleversements importants qui, 'des constructions médiévales aux
voies ferrées et autoroutières contemporaines, affectent cette zone
d'intense activité ..
Trois indices surtout peuvent être retenus:
-Ce qui apparatt le plus nettement à l'examen des photographies
aériennes et des cartes topographiques et ce qui, à vrai dire, attire l'attention et suscite l'interrogation et l'enquête, c'est le réseau orthogonal, à mailles régulières, des chemins de desserte de la plaine côtière:
la plupart de ces chemins, encore existants aujourd'hui bien que souvent délaissés, sont représentés sur les cartes au 1/50.000e et tous
sont très visibles sur les photographies aériennes; leur tracé rectiligne, leurs intersections à angle droit, sont facilement observables et
peuvent être cartographiés sur papier ·calque. Ces chemins sont recoupés en diagonale par le réseau médiéval de communication, que reprennent, en grande partie, les tracés modernes: la surimposition de
réseaux d'époques et de fonctions différentes appara~t très nettement
autour de Burriana.
L'espacement régulier des intersections confIrme l'hypothèse d'une organisation rationnelle et structurée de l'espace rural; le quadrillage des chemins de desserte, le damier régulier des champs, restituent le paysage antique en ce secteur côtier comme dans les secteurs
ouest de Caste1l6n de la Plana. étudiés par Antonio L6pez G6mez (6).
-On sait d'autre part que les limites administratives actuelles tirent parfois leur origine de limites anciennes ou s'appuient sur dp
éléments-repères du paysage ancien: la coincidence d'un chemin au
tracé rectiligne et d'une limite administrative atteste fréquemment la
161
LOPEZ GOMEZ, op. clt., pp. 132-136.
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A. BAZZANA
présence d'une voie antique et, parfois, d'un croisement de voies anti-
ques (7).
Or deux indices de ce type peuvent être relevés dans le secteur
géographique qui nous intéresse ici:
-Limite administrative des términos municipales de Nules et de
Burriana, entre la route de V _ à BarœInna par la _; rallure rec-
tiligne de cette limite et son croisement à angle droit avec des chemins
comme le Camina de Llombai sont parfaitement conservés et très
nets sur les documents observés dans toute la zone è.l'est de Mascarell.
-Limite administrative des términos municipales d'Almazora et
de Caste116n de la Plana, entre la route de Valencia à Barcelona et Almalafa, de part et d'autre d'El Caminds qui est traversé, à angle droit,
avec un léger décrochement en balonnette vers le nord de la branche
orientale (8).
Des mesures de longueurs et de superficie ont été effectuées sur la
carte topographique à partir de ces deux localisations. On ~e gardera,
en revanche, de tirer argument de l'existence de tronçons rectilignes
sur la limite administrative séparant Buniana de Vill8lTeal de los Infantes puisque, dans ce cas, on sait que la coupure du territoire dé-
pendant de Burrlana est un fait historique récent 191.
On ajoutera enfin qu'une rapide, étude des surfaces délimitées par
le réseau orthogonal des chemins de desserte montre que l'unité de
mesure de base employée pour la cadastration semble être l'actus romain, dont la valeur moyenne est de l'ordre de 35,485 m. (10). Plus
que les valeurs absolues des surfaces mesurées, c'est la répétition régulière des mêmes superficies qui vient cOnÎlrmer l'existence d'anciennes centuriations. A distance à peu près régulière de 355 m. à 375
m. on observe sur la photographie aérienne comme sur la carte topographique, les vestiges du IIsquelette) des chemins qui organisaient et
délimitaient les parcelles des centuriations (fig. 1J.
(7) CHEVALLIER: Op. cft.
G. M. CANO GARCIA: «Sobre una posible canturiacl6n en el ragadlo de la acequla de Montcada (Valencia]». E.tudios sobre centuriaclones romanas en Eapalla. Mathid, 1975, pp.115-127.
(8) CHEVALLIER. op. cit. p. 87: «L·évolution.les transformations des cultures 8e manifestent seulement dans les légers déplacemeut& que cesllgne.s ont subis. ve!'llia droite ou venlo. gauche, mm. elles reviennent tol\iours aUlt BJ[es originels. donnant ainsi une preuva frappante de la rectitude de cas derniers»
(9) Fondation Chrét,;mme de 1274.
110) ROSSELLO VERGER, op. dt.
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VESncES DE CENTURtATtoNS
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Fig. 1
Essai do recoo5titntiQn des ~nt!.l.t'iaUcns de la baISe plaiDe
d~
C3.wU6n deio plana. Carroyage Lambln't el
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6
A. 'BAZZANA
II
DESCRIPTION DES SECTEURS SOUMIS A CENTURIATION
ET ANOMALIES D'IMPLANTATION
Trois secteurs où apparaissent des indices d'existence de centuriations d'époque hispano~romaine ont été repérés et cartographiés.
1.
Secteur A
, A l'est de Nutes et au sud de Burriana, l'analyse cartographique
fait apparaître une série de quatre alignements d'orientation SO-NE,
dont certains (aignements a et et fig. 1) rie sont suggérés que par la
présence de points caractéristiques; un alignement intermédiaire (b)
devait exister, mais il a été détruit par les travaux de construction de
la voie ferrée Valencia-Barcelone.
La prése:çtce dé l'alignement a est suggérée par le carrefour du Camino,Travesfa de Angali et du Gamina de la Galeta en 9022.5916 (11).
En c, le tracé est encore utilisé de l'Azagador delBelcaide (NuIes)et du
Caminode les Glotes oCaminds IBurriana); à partir de 9060.5929 et en
se dirigeant vers le. NE, une modification de l'orientation de ce chemin
important entratne l'apparition d'éléments cadastraux dont l'axe
principal s'incline davantage vers l'est. L'alignement d est attesté par
l'actuel Camina de Llambai qui, à part un léger décalage vers l'ouest
du tracé contemporain (vers 9059.5913), recouvre exactement la voie
antique; le tracé se prolonge vers le NE au delà du carrefour du Camino de les Manjes et fait apparattre un chevauchement de cet éiément
cadastral et de celui qui a été signalé plus haut. Enfln, en e, on remarque d'Une part une portion de chemin vicinal qui s'accroche au Gamina deI Marge; d'autre part le carrefour de ce chemin avec le Gamina
de Miralles; un léger décalage du carrefour vers le sud incite à rechercher le croisement antique vers 9066.5902.
Une série de sept alignements NO-SE croise les llXes précédemment décrits. En 1, le Camino deI Gabeçol est très net, spécialement
dans sa partie située à l'est de l'Azagador dei Belcaide, de 9035.5895
à 9050.5886. L'alignement 2 correspond au tracé actuel du Camina
de la RatIla, souligné de surcroît par la limite administrative entre Nules et Burriana. En 3, se remarquent les Caminas Facos et de Miralles, mais on ne peut prolonger ce chemin vers l'ouest au-delà du
carrefour avec l'Azagador deI Belcaide (en 9057.5908). L'alignement
(lI) . Coordonnées hectométrique' Lambert.
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1
,,
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VESTIGES DE CENTURIATlONf.:
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4 est seulement suggéré par le carrefour du Camina de Llambai et du
Gamina de Ballester, en 9062.5918; lé. encore, aucun indice s1lr n'apparaît plus à l'ouest. Un axe, dont l'orientation est différente de celle
des précédents (il est, en effet, incliné de 6° plus à l'est), est visible en
4; il est marqué en partie par le Camina de les Manjes et le chemin
sans nom entre 9071.5918 et la cOte; on notera, en 9077,5.5911, son
intersection avec un axe Sa-NE attesté par plusieurs portions de la
voirie actuelle. Le Camina de Traver suggère la présence de l' aligne~
ment 5, qui est oblitéré à l'ouest du Gamina de les Glotes par des vestiges de cadastration de même orientation que celles repérées en l, 2, 3
et 4. Enfin, un dernier alignement qui, à l'ouest, va buter sur la ville
de Burriana, recouvre en 7 une partie du tracé du Gamina de les Navenes, entre 9088.5932 et la côte.
2.
Secteur B
Au nord de nurriana, entre le rio Seco et le rio Mijares, une zone
de centuriations plus régulières est visible entre la courbe de niveau
des 40 ID. et le rivage. Les indices d'alignements antiques sont relativement nombreux et permettent de reconstituer à l'aide des photographies aériennes les mailles de la centuriation romaine, bien que les
portions de chemins anciens ne puissent pas toujours être suivies sur
une grande distance (fig. 3).
La description du secteur précédent mantre assez la méthode qui
a été suivie; sans entrer, désormais, dans autant de détails, on natera
simplement, pour le secteur B, les alignements suivants:
Du sa vers le NE.
-a: Camino de les Baltes, du rio Seca jusqu'au point 9053.5977.
-b: Camina de Sedeny, de 9055.5961 à 9076.5987.
-c: tracé restitué à partir de la photographie aérienne, s'appuyant sur la courte section (d'environ 300 m.) d'orientation SO-NE du
Gamina del Cedre (vers 9078.5969).
-d: même remarque pour un tracé prenant appui sur une portion
du Gamina al Mali située en 909.597.
-e: Gamina de Santa Pauet, et partie du Gamina de Santa Pau, au
NE de 9101.5963,
-f: tracé peu visible près du rio Seco mais que recouvre, plus au
nord, le Camina la Cosa.
Du SE vers le NO.
-1 .: Azagadar d'Espasers:
- 283 -
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,
A BAZZANA
-2: alignement très perturbé par la proximité du fleuve et le ré~
seau médiéval de communications, en étoile à partir de Burriana.
-3: éléments de voirie ou croisements d'axes de centuriations en
9102.5947, 9096.5951 Imais décalé vers le sud), 9090.5958,
9078.5968 et 9069.5978.
-4: Camina de Vîla-real puis section du Gamina de Na Boneta.
-5: portion de chemin actuel vers El Bolio (9118.59641, à l'ouest
d'Almacén de Polo 19004.5978), sur le Gamina d'Almassora
f9084.5996l à proximité de Vinarragell.
On remarquera que les orientations des axes de la centuriation du
secteur B sont en concordance parfaite avec celles des quelques éléments de centuriation relevés au nord du secteur A, sur l'autre rive
du rio Seco.
3.
Secteur C
Au nord du rio Mijares et dans toute la basse plaine à l'est de Castcll6n, plusieurs alignements apparaissent qui semblent appartenir à
trois centuriations différentes et, sans doute, successives.
Alors que plusieurs axes sont hypothétiques, en raison du faible
nombre d'indices qui en suggèrent la présence (ainsi les axes a, d et el.
d'autres, en revanche, sont marqués encore dans le paysage actuel
par les chemins de desserte de la huerta, par exemple, pour la direction SE-NO:
- 2a: Caminp dels Clots.
- 3a: Camino de la Donaci6.
- 3c: Camina de Fadrell, à l'est du point 9131.6014.
- 5: Gamina Vell de la Mar, du port jusqu'au point 913.2.6039,
poursuivi, après une lacune de 800 m. par un chemin allant vers la ville de Castellôn.
4.
Remarques concernant des anomalies d'implantation des
centuriations hispano-romaines de Burriana et Castell6n-Est
Au total, à l'examen de la carte topographique et des photographies aériennes, on voit apparaître non pas une cadastration unique, selon
un seul et même réseau orthogonal bâti sur l'intersection d'un
cardo maximus et d'un decumanus maximus, mais une série de petites centuriations, disposées du sud vers le nord selon des orientations
différentes et présentant parfois des zones de chevauchement partiel
ou, même, de véritable superposition. Ces inflexions successives sont- 284 -
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VESTIGES DE CENTURIATlONS
9
elles à relier au tracé de la cOte ou ont-elles une autre cause? Autre
anomalie,le module utilisé pour la centuriation de Burnana et de l'est
de Caste1l6n ne correspond pas au module habituel que l'on rencontre
dans d'autres régions du monde romain ou, plus simplement, du monde hispano-romain (12): au lieu d'un système de mesures des longueurs bAti sur l'anchura de 20 actes, soit 709,68 m. ou le mille, on
rencontre ici un module voisin de 1160 m.: ceci représente une cadas
tration en grandes parcelles de 32 actes sur 32, soit 134,56 ha. Pour le
secteur C, en ne tenant pas compte de la partie la plus au nord qui
semble appartenir â une centurlation différente, on découvre une
quinzaine de grandes parcelles correspondant â une superficie exploitable de 2018 ha environ.
Qu'en est-il, enfm, du rapport entre les mesures antiques et la jovada valencienne (13). Lajovada est l'unité de mesure qui correspond
li la surface labourable en un jour par un attelage de boeufs; est-elle
d'origine médiévale, chrétienne ou arabe, au d'origine antique? Onne
peut qu'être frappé du fait que l'acte carré de 0,1259 ha est, à peu de
choses prés, l'équivalent du 1I1Oe de cuadrado valencien (un cuadrado valant quatrejovadas) (14). Certaines grandes parcelles de la zone
de Burriana sont aujourd'hui encore recoupées par deux chemins parallèles qui divisent la surface en trois parcelles allongées de 386,66
m. sur 1160 m.: ceci peut être mis en rapport avec certains modes de
découpage des terres à l'époque médiévale. Au niveau élémentaire de
la pièce de terre, il semble que lajovada ait été utilisée pour découper
et répartir ces rmages. On sait que Jaime l l'utilise comme mesure
agraire mais, au XIIIe siècle, sa valeur diffère d'un lieu à}' autre (15);
étymologiquement, l'origine du terme a parfois été rapprochée du
berbère cljebda: il semble qu'il s'agisse là de la transcription, en langue berbère, d'un terme hispanique médiéval local dérivé lui-même
du latin iugum. n serait donc assez logique d'admettre une origine
hispano-romaine au terme et éla superficie de 2,99 ha à 3,01 ha qu'il
recouvre. On croit découvrir ainsi une remarquable permanence du
système cadastral et du paysage agraire qui en résulte: alors que les
chemins médiévaux puis, davantage encore, les tracés modernes routiers et autoroutiers recoupent en diagonale le parcellaire, celui-ci
conserve, à travers les siècles, comme base de son organisation, les
j 121 Voir. par exemple, M. PONSICH; cImplantation rurale antique ~ur la Bas-Guadalquivir». Cese
de Veh'izquez. Série fArchtlologie., miro. 2. Madrid, 1974.
(131 ROSSELLO VERGER, op. ci!, p. 24.
1141 Quatrejovadas de 3.01 ha chacune, soit 12,04 ha.
051 F. MA'fEU y lLOPIS: dovada., Gran Enciclopedîa do la Regi6n Valenciana, VI. Val~ncia,
1975, paE- 81.
-
265 -
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A. BAZZANA
axes et les orientations de l'antique centuriation ainsi qu'une valeur
approchée de l'ancien mode de mesure des superficies. Dix actes
carrés romains équivalent, à peu près, è. un cuadrado médiéval et
l'organisation spatiale des cuadrados etjovadas apparatt souvent, du
moins dans notre exemple, sous la forme de parcelles allongées, sé~
parées par un squelette géométrique de chemins parallèles distants
d'environ 355 m. l'un de l'autre (16).
La constatation faite précédemment de l'existence d'éléments de
cadastration hispano-romaine d'orientation différente selon les sec~
teurs considérés ne paratt s'expliquer que par référence à un axe majeur de communication, antérieur à la présence romaine ct auquel les
arpenteurs antiques se sont référés pour organiser leurs centuriations.
III
UN ITINERAIRE ANTIQUE, PRE-ROMAIN, DANS LA PLAINE
DE CASTELLON
1a seule indication El Caminds se trouve, pour le secteur considéré, portée au sud-est de Caste1l6n, approximativement en
9125.6047; c'est donc à partir de ce point que l'on a essayé de retrouver le tracé d'origine de la voie ancienne. Au nord, pas de difficultés
particulières, .mais un itinéraire menant à La Magdalena; vers le sud,
en revanche, la difficulté m~eure est fournie par le nécessaire franchissement de l'estuaire du rio Mljeras et, corrélativement, la recherche d'un prolongement hypothétique du «grand chemin» vers Burriana puis Nules. A côté de l'indication cartographique, nous savons
par ailleurs qu'entre le Mijares et Burriana l'expression El Gaminas
recouvre aujourd'hui dans la tradition orale le Gamina dels Carnissers.
La première hypothèse, la plus simple, consistait à tenter de vé;rifier si l'on se trouvait -ou non- en présence d'une voie d'époque romaine; mais l'application à toute la zone de Castell6n-AlmazoraBurriana-Nules des
à fait les résultats escomptés; il semble, en effet, difficile d'y trouver
trace de l'emploi de l'unité de mesure habituelle pour les travaux de
centuriation. En revanche, en travaillant sur papier calque, au cam061 LOPEZ GOMEZ, op. dt. pp. lJl·ln.
[17) Es.a! de jalonnement à la longueur du mllle romain Il.480 m.), normalement utilisé pour le •
. centuriations en milieu rural, puia de la Uaue romaine (de 2.222 m.1 et analysa du tracé dan. ses rapports
avec Jes données de la géographie physique .
. - 2ab -
[page-n-287]
VESTIGES DE CENTURIATIONS
"
pas à pointe séche, on voit apparaltre sur la carte topographique un
ensemble de points caractéristiques dont la succession et la position à
distance réguliére attestent la présence d'un itinéraire ancien, partiellement abandonné par la voirie contemporaine.
Deux secteurs peuvent être distingués. Sans vouloir rechercher
plus au nord, vers le cerro de La Magdalena, les traces d'un prolongement vers l'intérieur de cet itinéraire, on peut cependant cartographier une série de points caractéristiques, réguliérement espacés
et séparés, en moyenne par une distance de 2325 m.; Bouvent, à midistance, un point intermédiaire est attesté par un carrefour ou un
embranchement de chemin. La succession des points retenus (1 à Il)
constitue le jalonnement de cet ancien itinéraire dont le module de
mesure des longueurs est de 2325 m. ou, plutOt, de 4650 m.; on remarquera que l'un des points ainsi mis en évidence correspond à l'actuel centre urbain de Burnana .
• Secteur 1 (Caste1l6n do la Plana-Almazora):
1. En 9133.5086, point mis en évidence par des mesures de distances depuis le carrefour, en 9131.6096, de l'itinéraire ancien avec
le Camina Vell de Barcelona; ce point est cependant douteux, malgré
sa netteté sur la carte, car il est fortement oblitéré par le passage de la
voie ferrée.
2. Carrefour de la Venta de Chelina, en 9128.6064; point intermédiaire sur le carrefour de rive droite du rio Seco.
3. Carrefour de la Villa Anita, en 9124.6041: la branche latérale ouest est tronquée par la zone urbaine de Casto1l6n, la branche est,
peu visible à proximité d'El Caminds, .se retrouve aisément BOO m.
plus loin sur le tracé du Camina major de la Mar,' point intermédiaire à un carrefour de chemins orthogonaux dont les branches latérales sont presque totalement abandonnées par la voirie actuelle.
4. Point en 9116.6022. Le point intermédiaire se situerait sur la
branche supérieure (nord) d'un carrefour triangulaire, en 9119.6032.
5. Petit carrefour à proximité immédiate de la Acequia del Batdn, en 9109.5998j point intermédiaire en limite des territoires municipaux de Caste1l6n et d'Almazora.
Le point intermédiaire entre nos numéros 5 et 6 se situerait encore sur la rive gauche du rio Mijares, au carrefour d'El Caminds avec
le Gamina de Vilamancarra (fig. 2) .
• Secteur 2 (Hurriana-Nules):
6. Le point 6 du jalonnement est situé dans la zone confuse de la
rive droite du rio Mijares. Une fois le fleuve franchi à gué, plusieurs
-
287 .
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A. BAZZANA
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El Caminâs. Trace de l'itinéraire antique d'après la carte au 1/50.000e et points caractéristiques
du jalonement
Secteur 1; Castellon de la Plana - AImuora. Voir la légende de 1... figure 3
[page-n-289]
VESTIGES DE CENTURIATIONS
"
tracés sOnt possibles à partir de Almacén de Polo. Le point devrait
pouvoir être placé vers 9108.5979.
7. La photographie aérienne suggère trois itinéraires possibles
pour El Camindsi en l'absence de travaux au sol, il n'est pas souhaitable de choisir entre ces trois tracési il semble simplement qu'il faille
plutôt rechercher le point 7 sur le Gamina de Santa Pauet, en
9094.5955. Le point intermédiaire se place en 9102.5963.
8. Ce point se trouve placé sur la rive droite du rio SecQ, en plein
coeur de la ville de Burriana qui apparatt ainsi comme un élément essentiel de cet itinéraire.
9. En 9056.5924, au carrefour de la Ermita de la Sagrada FamilÏJa; point intermédiaire incertain.
10. Point en 9043.5904, où les limites administratives de Burriana et de Nules recoupent El Gaminas; point intermédiaire au croisement du Gamina Facos.
Il. Un dernier point n'a pas été cartographié mais se trouve en
9027.5887, au carrefour de l'Azagador del Belcaide (nom actuel du
«grand chemin» sur le territoire de Nules) et de la branche est du CamirlJO de la Mar; point intermédiaire au croisement du Camina del Cabeçol lfig. 3).
Dans ces deux secteurs, il y a surimposition évidente du réseau
médiéval et moderne de communication é. un réseau antique, romain
ou pré-romain, ce qui atteste la précocité de la mise en valeur de la
plaine côtière et le rôle moteur, dans cette mise en valeur, d'une ville
comme Burriana, seule concernée par le tracé d'El Caminas alors que
les autres vi11es actuelles apparaissent comme des éléments étrangers
au paysage antique.
Sauf une ou deux exceptions, situées dans la partie nord de la zone étudiée, il semble que la distance approchée entre deux points caractéristiques (ou entre deux points intermédiaires) soit supérieure à
2220 m., souvent voisine de 2320 m.; la précision des mesures sur
une coupure au 1/50.000e est évidemment insuffisante pour descendre li la lecture de longueurs d'un mètre. Cette distance approximative de 2320 m., utilisable pour repérer les points dejalonnement de l'itinéraire principal d'El Caminds et qui atteste l'ancienneté de cet axe
de communication traversant 13umana, paratt ne plus exactement
convenir pour rendre compte de l'organisation du réseau orthogonal
des chemins de desserte de part et d'autre de la voie centrale; l'écartement des branches du compas nous donne très souvent, surtout
dans le secteur nord, une mesure quelque peu inférieure au module
utilisé pour El Caminds et apparemment proche de la lieue romaine
31
-
2B9 -
[page-n-290]
A. BAZZANA
... ...
+
•
\
\
\
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- ,,
--
,
Fie. 3
El Caminâs. Tracé de l'itinéraire d'aprés la carte au 1/50.000e et points caractéristiques
du jalonnement
Secteur 2: Burriana _ Nules
1.
2.
3.
4.
El Caminâs et éléments des centuriations.
CenturiatiODS, restitutions incertaines.
Voirie actuelle.
Limite de térmîno municipal.
[page-n-291]
VESTIGES DE CENTURIATIONS
15
(2222 m.) ou du mille et demi {14BO + 740 m. soit 2220 m.J. Faut-il admettre, en conséquence, l'emploi successif - lors de deux périodes
historiques consécutives - d'une double métrique: l'une antérieure à
la période romaine et bornant une voie cOtiére traversant la cité de
Burriana,l'autre contemporaine de l'occupation romaine et servant à
l'établissement d'un ou de plusieurs cadastres?
IV
CONCLUSIONS
Sous réserve de vérifications ultérieures et de travaux complémentaires sur le terrain, on peut énoncer, en résumé, les premières
conclusions suivantes.
1. L'expression traditionnelle d'El Caminds parait recouvrir,
dans la région de Burriana et de Caste1l6n, une voie ancienne, d'origine sans doute indigéne et ant~rieure à la présence romaine, voie drainant la plaine côtiére et desservant le petit noyau urbain, déjà existant, de Burriana.
2. L'analyse cartographique cOIlÎlI'me l'ancienneté d'une implantation humaine à Bumana et, en tout cas, l'antériorité de la cité
de Burriana par rapport à Caste116n, bien s'O.r, mais aussi à d'autres
villes de la plaine comme Almazora ou Nules; elle montre enfin le rôle
d'animatrice, de la cité, dans le processus de mise en valeur de l'espace rural côtier.
3. La mise en évidence de plusieurs centuriations romaines, d'orientations différentes, à quelques kilomètres de distance, confirme
l'importance de l'itinéraire côtier de Valencia à Tortosa. Pour le secteur de Nules-Burriana-Almazora-CasteIl6n, le tracé des centuriations, tel
qu'il appara1t à travers les inilices fournis par la photographie aérieIllle et la carte topographique, montre que l'on n'a pas
cherché à orienter le parcellaire selon l'axe géométrique et traditionnel nord~sud; ce n'est certes pas un cas unique dans le monde romain
et l'on sait que souvent le relief influa sur le choix de l'orientation du
cardo maximus; parfois aussi, comme le signale Raymond Chevallier,
«Dans les pays de relief compliqué, le Romain s'est trouvé parfois heureux de bénéficier d'un tracé préceltique, naturellement peu rectiligne» flB); il semble bien que cela s'applique aux centuriations côtières
de la plaine de Castellôn et que leur orientation d'ensemble ainsi
que les changements successifs d'orientation 5' expliquent par la présenIlfl)
CHEVALLIER. op. clt .. p. 13?
- 291 -
[page-n-292]
A. BAZZANA
ce du «vieux chemin» auquel les arpenteurs romains se sont référés et
sur lequel ils ont accroché leur cadastre.
4. La carte topographique indique que le réseau vicinal antique
a été parfois réutilisé par les routes plus récentes, mais souvent aussi
soit complètement abandonné par les nouvelles constructions routières (au réseau en étoile autour des centres urbains), soit rélégué au
rang de petits chemins de desserte très locale. La question qui se pose
dès lors est de savoir si l'on pout inférer de cette disparition partielle
du réseau antique et du cadastre qu'il supporte l'indication d'une évolution soda-économique qui aurait entraîné l'abandon des cadres
antérieurs; la crise du Bas-Empire et de l'époque romaine tardive
pourrait bien être en cause, crise suivie de la période assez obscure du
très haut Moyen-âge puis de la réoccupation du sol par des populations «neuves» et dynamiques; on pourrait alors faire référence à la
densité des implantations berbères telle qu'elle apparatt dans la toponymie (19) et à l'examen des nombreux vestiges archéologiques
d'époque médiévale de toute la région de Caste116n de la Plana (20),
(19) P. GUICHARD: _Le peuplement de Valenca aux deux premiers siècles de la domination musulmane •. Mélanges de la Casa de Velâzquez, V. Medrid, 1969, pp. 103-15S.
120) A. BAZZANA et P. GUICHARD: iRechefches sur les habitats musulmans du Levant espagnol>.
Atti dei Colloquio Intemazionale dl Arahoologla Medievale (Palerme, septembre 1974). T." I. Palerme,
1976, pp. 59-100.
A. BAZZANA: «Le. village. désertés de l'Espagne orientale: état pré.ent et perspectives d'une recher·
che archéologique»; Il peraître dans Archéologie Médiévale, VIII, uns.
- 292 -
[page-n-293]
ANDRE BAZZANA
(Francia)
VESTIGES DE CENTURIATIONS ROMAINES
ET D'UN ITINI!RAIRE PRI!-ROMAIN
DANS LA PLAINE DE CASTELLON
L'occupation antique, et particulièrement la mise en valeur
hispano-romaine, de la plaine de Castell6n de la Plana sont attestées
par de nombreux vestiges archéologiques, répertoriés et analysés par
des travaux antérieurs (1 J. En dehors des témoins architecturaux {arc
de Cabanes, villa de Nules) ou artistiques (Hermès de bronze de Villavieja), l'influence romaine s'inscrit aussi dans le paysage: les traces
de centuriations romaines ont ainsi été relevées et étudiées par Antonio L6pez G6mez dans toute la zone située à l'ouest de Caste1l6n de la
Plana entre la Rambla de la Viuda et les premiers contreforts montagneux (2),
Si les prospections se sont avérées négatives dans le secteur de Villarrea! de los Infantes (3), il semble en revanche que l'étude pourrait
être Feprise et prolongée, d'une part dans la plaine intérieure de Cabanes où l'on peut logiquement supposer l'existence d'une centuriation
liée à la proximité de la Via Augusta (4), d'autre part dans la plaine
{I! D. FLETCHER et J. ALCACER: _Avance a una e.rllueologla romana dela provincia de Caste1l6n».
Bnlolin de la Sociedad CaslellonensB de Cultura XXXI, C." IV, p. 316. Castell6n 1955, el XXXll, C." H,
p. 135. Castelllin, 1956.
F. ESTEVE: oLa villa romana de BenÎcatli (Nulesl~, Penyegolosa, num. 2. Caste1l6n, 1956.
M. TARRADELL et M. SANCH!S GUARNER: IPrehlsl"'ria i Antiguitat. Epoca musulmana., vol. 1 de
HistOria deI Pals Valencià. BaTeelone, 1962.
J. M. DO:NATE SEBASTIA: ~Arqueolog1a romana de vmarraall. Archiva da P""historia Levantlna,
XII. Valencia, 1969, pp. 205-239.
(21 A. LOPEZ GOMEZ: _Poslb!as centuriadones Bn Cestell6n de la PlanlU. Estudios sobre centurie.ciones romanas en Espaila. Madrid, 1975, pp. 129-136.
13) V. M. ROSSELLO VERGER: «El catastro romano en la Espaila dei Este y del SUIl!. Esludios sobre
centunadanes romana" en Espana. Madrid, 1975, pp. 9-33 et cane p. 29.
(4) LOPEZ GOMEZ, op. cit., p. 129.
-
277 -
[page-n-278]
,
A. BAZZANA
littorale autour de Burriana et à l'est de Caste1l6n, de part et cl' autre
du rio Mijares.
C'est cette seconde étude qui est amorcée dalls les notes qui suivent, rédigées à la suite d'un premier travail de prospection sur cartes
et photographies aériennes. Les documents utilisés étaient les suivants:
-Feuilles Villafamés - 616, 1ère édition de 1942, et Caste1l6n de
la Plana - 641, lêre édition de 1942, de la couverture à l'échelle du
1/50.000e publiée par la Direcci6n General deI Instituto Geogrâfico y
Catastral,
-Photographies aériennes, à l'échelle approximative du
1/30.000e, mlm. 5133 à 5138 du 15 mai 1956, mlm. 6800 à 6805 et
mlm. 6851 à 6855 du 9 juin 1956, num. 10557 à 10561 du 4jui11et
1956 (photographies extraites de la couverture générale réalisée par
l'aviation américaine),
Partant de l'information que nous avait donné Norberto Mesado,
directeur du Musée Municipal de Burriana, selon laquelle l'appelation
traditionnelle El Caminds (=de grand chemin», avec -a ou -as augmentatif), encore utilisée et que l'on retrouve sur les cartes topographiques, recouvrait fréquemment des chemins antiques -souvent
antérieurs au Moyen Age- on 8 tenté de vérifier cette information sur
deux coupures au 1/50.000e et sur les photographies aériennes verticales du secteur de CasteIl6n-Burriana-Nules, et de trouver quelques
renseignements attestant son exactitude.
La démarche suivie peut se résumer ainsi:
-Recherche, à partir de (ou des) indication{sl El Caminds ou Camina Viejo, d'un ou de plusieurs tracés possibles pour une voie de
communication ancienne à courte et moyenne distance;
-Essai de mise en évidence des points caractéristiques jalonnant
les itinéraires retenus (5);
-Recherche de l'unité de mesure apparaissant avec une régularité relative entre les points caractéristiques et attestant, éventuellement, l'existence d'un bornage ancien;
-Cartographie des informations recueillies.
(5) La méthodologie appnquéeld est calle qui a été mille au point, en France, lor8 de J'étude, dans
quelques région9, de l'an semble des chew.lns de grande et moyenne co=unicatlon utili9és entre la con
quête romaine et la Ve sléde: on S6 reportera d'abord ft l'exposé méthodologique de base de R. CHEVAlLIER, A. CLOS-ARCE DUC et J. SOYER: ,Essai de reconstitutlon du rliseau routier gallo-romain: Caractères et méthodo8D, Revue Archéologique, nÜlll, 1, 1962, pp. 1-49. Voir ensuite: D. JALMAlN: «Etude des
voies romaines entre Seine et Loire>. Colloque da Cw:tographie Archéologique. Tours, 1972, pp, 111-114
et pl. L 1, 2 et 3.
J HUBERT: des routes de France depuis les origines jusqu'!!; nos jours., Cahiers de Civilisation,
19~9.
R. CHEVALLIER: «Les voies romaines., Parla, 1972.
[page-n-279]
VESTIGES DE CENTUIUATIONS
3
, Mais, avant de décrire cet itinéraire côtier, la première observation des cartes et des photographies aériennes verticales faisait apparaître les traces d'aménagements agricoles qui semblaient être des
vestiges de centuriations romaines.
l
LES CENTURIATIONS DE BURRIANA ET DE CASTELLON-EST
Les indices les plus habituels attestent, dans toute la zone côtière,
l'existence de centuriations ou d'éléments de centuriations dont l'extension maximale ne peut être retrouvée aujourd'hui en raison des
bouleversements importants qui, 'des constructions médiévales aux
voies ferrées et autoroutières contemporaines, affectent cette zone
d'intense activité ..
Trois indices surtout peuvent être retenus:
-Ce qui apparatt le plus nettement à l'examen des photographies
aériennes et des cartes topographiques et ce qui, à vrai dire, attire l'attention et suscite l'interrogation et l'enquête, c'est le réseau orthogonal, à mailles régulières, des chemins de desserte de la plaine côtière:
la plupart de ces chemins, encore existants aujourd'hui bien que souvent délaissés, sont représentés sur les cartes au 1/50.000e et tous
sont très visibles sur les photographies aériennes; leur tracé rectiligne, leurs intersections à angle droit, sont facilement observables et
peuvent être cartographiés sur papier ·calque. Ces chemins sont recoupés en diagonale par le réseau médiéval de communication, que reprennent, en grande partie, les tracés modernes: la surimposition de
réseaux d'époques et de fonctions différentes appara~t très nettement
autour de Burriana.
L'espacement régulier des intersections confIrme l'hypothèse d'une organisation rationnelle et structurée de l'espace rural; le quadrillage des chemins de desserte, le damier régulier des champs, restituent le paysage antique en ce secteur côtier comme dans les secteurs
ouest de Caste1l6n de la Plana. étudiés par Antonio L6pez G6mez (6).
-On sait d'autre part que les limites administratives actuelles tirent parfois leur origine de limites anciennes ou s'appuient sur dp
éléments-repères du paysage ancien: la coincidence d'un chemin au
tracé rectiligne et d'une limite administrative atteste fréquemment la
161
LOPEZ GOMEZ, op. clt., pp. 132-136.
_ 279 -
[page-n-280]
,
A. BAZZANA
présence d'une voie antique et, parfois, d'un croisement de voies anti-
ques (7).
Or deux indices de ce type peuvent être relevés dans le secteur
géographique qui nous intéresse ici:
-Limite administrative des términos municipales de Nules et de
Burriana, entre la route de V _ à BarœInna par la _; rallure rec-
tiligne de cette limite et son croisement à angle droit avec des chemins
comme le Camina de Llombai sont parfaitement conservés et très
nets sur les documents observés dans toute la zone è.l'est de Mascarell.
-Limite administrative des términos municipales d'Almazora et
de Caste116n de la Plana, entre la route de Valencia à Barcelona et Almalafa, de part et d'autre d'El Caminds qui est traversé, à angle droit,
avec un léger décrochement en balonnette vers le nord de la branche
orientale (8).
Des mesures de longueurs et de superficie ont été effectuées sur la
carte topographique à partir de ces deux localisations. On ~e gardera,
en revanche, de tirer argument de l'existence de tronçons rectilignes
sur la limite administrative séparant Buniana de Vill8lTeal de los Infantes puisque, dans ce cas, on sait que la coupure du territoire dé-
pendant de Burrlana est un fait historique récent 191.
On ajoutera enfin qu'une rapide, étude des surfaces délimitées par
le réseau orthogonal des chemins de desserte montre que l'unité de
mesure de base employée pour la cadastration semble être l'actus romain, dont la valeur moyenne est de l'ordre de 35,485 m. (10). Plus
que les valeurs absolues des surfaces mesurées, c'est la répétition régulière des mêmes superficies qui vient cOnÎlrmer l'existence d'anciennes centuriations. A distance à peu près régulière de 355 m. à 375
m. on observe sur la photographie aérienne comme sur la carte topographique, les vestiges du IIsquelette) des chemins qui organisaient et
délimitaient les parcelles des centuriations (fig. 1J.
(7) CHEVALLIER: Op. cft.
G. M. CANO GARCIA: «Sobre una posible canturiacl6n en el ragadlo de la acequla de Montcada (Valencia]». E.tudios sobre centuriaclones romanas en Eapalla. Mathid, 1975, pp.115-127.
(8) CHEVALLIER. op. cit. p. 87: «L·évolution.les transformations des cultures 8e manifestent seulement dans les légers déplacemeut& que cesllgne.s ont subis. ve!'llia droite ou venlo. gauche, mm. elles reviennent tol\iours aUlt BJ[es originels. donnant ainsi une preuva frappante de la rectitude de cas derniers»
(9) Fondation Chrét,;mme de 1274.
110) ROSSELLO VERGER, op. dt.
-
280 -
[page-n-281]
,
VESncES DE CENTURtATtoNS
-
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Fig. 1
Essai do recoo5titntiQn des ~nt!.l.t'iaUcns de la baISe plaiDe
d~
C3.wU6n deio plana. Carroyage Lambln't el
éclH!Ue ldIométrlque
••
[page-n-282]
6
A. 'BAZZANA
II
DESCRIPTION DES SECTEURS SOUMIS A CENTURIATION
ET ANOMALIES D'IMPLANTATION
Trois secteurs où apparaissent des indices d'existence de centuriations d'époque hispano~romaine ont été repérés et cartographiés.
1.
Secteur A
, A l'est de Nutes et au sud de Burriana, l'analyse cartographique
fait apparaître une série de quatre alignements d'orientation SO-NE,
dont certains (aignements a et et fig. 1) rie sont suggérés que par la
présence de points caractéristiques; un alignement intermédiaire (b)
devait exister, mais il a été détruit par les travaux de construction de
la voie ferrée Valencia-Barcelone.
La prése:çtce dé l'alignement a est suggérée par le carrefour du Camino,Travesfa de Angali et du Gamina de la Galeta en 9022.5916 (11).
En c, le tracé est encore utilisé de l'Azagador delBelcaide (NuIes)et du
Caminode les Glotes oCaminds IBurriana); à partir de 9060.5929 et en
se dirigeant vers le. NE, une modification de l'orientation de ce chemin
important entratne l'apparition d'éléments cadastraux dont l'axe
principal s'incline davantage vers l'est. L'alignement d est attesté par
l'actuel Camina de Llambai qui, à part un léger décalage vers l'ouest
du tracé contemporain (vers 9059.5913), recouvre exactement la voie
antique; le tracé se prolonge vers le NE au delà du carrefour du Camino de les Manjes et fait apparattre un chevauchement de cet éiément
cadastral et de celui qui a été signalé plus haut. Enfln, en e, on remarque d'Une part une portion de chemin vicinal qui s'accroche au Gamina deI Marge; d'autre part le carrefour de ce chemin avec le Gamina
de Miralles; un léger décalage du carrefour vers le sud incite à rechercher le croisement antique vers 9066.5902.
Une série de sept alignements NO-SE croise les llXes précédemment décrits. En 1, le Camino deI Gabeçol est très net, spécialement
dans sa partie située à l'est de l'Azagador dei Belcaide, de 9035.5895
à 9050.5886. L'alignement 2 correspond au tracé actuel du Camina
de la RatIla, souligné de surcroît par la limite administrative entre Nules et Burriana. En 3, se remarquent les Caminas Facos et de Miralles, mais on ne peut prolonger ce chemin vers l'ouest au-delà du
carrefour avec l'Azagador deI Belcaide (en 9057.5908). L'alignement
(lI) . Coordonnées hectométrique' Lambert.
-
282 _
, 1
1
,,
[page-n-283]
VESTIGES DE CENTURIATlONf.:
,
4 est seulement suggéré par le carrefour du Camina de Llambai et du
Gamina de Ballester, en 9062.5918; lé. encore, aucun indice s1lr n'apparaît plus à l'ouest. Un axe, dont l'orientation est différente de celle
des précédents (il est, en effet, incliné de 6° plus à l'est), est visible en
4; il est marqué en partie par le Camina de les Manjes et le chemin
sans nom entre 9071.5918 et la cOte; on notera, en 9077,5.5911, son
intersection avec un axe Sa-NE attesté par plusieurs portions de la
voirie actuelle. Le Camina de Traver suggère la présence de l' aligne~
ment 5, qui est oblitéré à l'ouest du Gamina de les Glotes par des vestiges de cadastration de même orientation que celles repérées en l, 2, 3
et 4. Enfin, un dernier alignement qui, à l'ouest, va buter sur la ville
de Burriana, recouvre en 7 une partie du tracé du Gamina de les Navenes, entre 9088.5932 et la côte.
2.
Secteur B
Au nord de nurriana, entre le rio Seco et le rio Mijares, une zone
de centuriations plus régulières est visible entre la courbe de niveau
des 40 ID. et le rivage. Les indices d'alignements antiques sont relativement nombreux et permettent de reconstituer à l'aide des photographies aériennes les mailles de la centuriation romaine, bien que les
portions de chemins anciens ne puissent pas toujours être suivies sur
une grande distance (fig. 3).
La description du secteur précédent mantre assez la méthode qui
a été suivie; sans entrer, désormais, dans autant de détails, on natera
simplement, pour le secteur B, les alignements suivants:
Du sa vers le NE.
-a: Camino de les Baltes, du rio Seca jusqu'au point 9053.5977.
-b: Camina de Sedeny, de 9055.5961 à 9076.5987.
-c: tracé restitué à partir de la photographie aérienne, s'appuyant sur la courte section (d'environ 300 m.) d'orientation SO-NE du
Gamina del Cedre (vers 9078.5969).
-d: même remarque pour un tracé prenant appui sur une portion
du Gamina al Mali située en 909.597.
-e: Gamina de Santa Pauet, et partie du Gamina de Santa Pau, au
NE de 9101.5963,
-f: tracé peu visible près du rio Seco mais que recouvre, plus au
nord, le Camina la Cosa.
Du SE vers le NO.
-1 .: Azagadar d'Espasers:
- 283 -
[page-n-284]
,
A BAZZANA
-2: alignement très perturbé par la proximité du fleuve et le ré~
seau médiéval de communications, en étoile à partir de Burriana.
-3: éléments de voirie ou croisements d'axes de centuriations en
9102.5947, 9096.5951 Imais décalé vers le sud), 9090.5958,
9078.5968 et 9069.5978.
-4: Camina de Vîla-real puis section du Gamina de Na Boneta.
-5: portion de chemin actuel vers El Bolio (9118.59641, à l'ouest
d'Almacén de Polo 19004.5978), sur le Gamina d'Almassora
f9084.5996l à proximité de Vinarragell.
On remarquera que les orientations des axes de la centuriation du
secteur B sont en concordance parfaite avec celles des quelques éléments de centuriation relevés au nord du secteur A, sur l'autre rive
du rio Seco.
3.
Secteur C
Au nord du rio Mijares et dans toute la basse plaine à l'est de Castcll6n, plusieurs alignements apparaissent qui semblent appartenir à
trois centuriations différentes et, sans doute, successives.
Alors que plusieurs axes sont hypothétiques, en raison du faible
nombre d'indices qui en suggèrent la présence (ainsi les axes a, d et el.
d'autres, en revanche, sont marqués encore dans le paysage actuel
par les chemins de desserte de la huerta, par exemple, pour la direction SE-NO:
- 2a: Caminp dels Clots.
- 3a: Camino de la Donaci6.
- 3c: Camina de Fadrell, à l'est du point 9131.6014.
- 5: Gamina Vell de la Mar, du port jusqu'au point 913.2.6039,
poursuivi, après une lacune de 800 m. par un chemin allant vers la ville de Castellôn.
4.
Remarques concernant des anomalies d'implantation des
centuriations hispano-romaines de Burriana et Castell6n-Est
Au total, à l'examen de la carte topographique et des photographies aériennes, on voit apparaître non pas une cadastration unique, selon
un seul et même réseau orthogonal bâti sur l'intersection d'un
cardo maximus et d'un decumanus maximus, mais une série de petites centuriations, disposées du sud vers le nord selon des orientations
différentes et présentant parfois des zones de chevauchement partiel
ou, même, de véritable superposition. Ces inflexions successives sont- 284 -
[page-n-285]
VESTIGES DE CENTURIATlONS
9
elles à relier au tracé de la cOte ou ont-elles une autre cause? Autre
anomalie,le module utilisé pour la centuriation de Burnana et de l'est
de Caste1l6n ne correspond pas au module habituel que l'on rencontre
dans d'autres régions du monde romain ou, plus simplement, du monde hispano-romain (12): au lieu d'un système de mesures des longueurs bAti sur l'anchura de 20 actes, soit 709,68 m. ou le mille, on
rencontre ici un module voisin de 1160 m.: ceci représente une cadas
tration en grandes parcelles de 32 actes sur 32, soit 134,56 ha. Pour le
secteur C, en ne tenant pas compte de la partie la plus au nord qui
semble appartenir â une centurlation différente, on découvre une
quinzaine de grandes parcelles correspondant â une superficie exploitable de 2018 ha environ.
Qu'en est-il, enfm, du rapport entre les mesures antiques et la jovada valencienne (13). Lajovada est l'unité de mesure qui correspond
li la surface labourable en un jour par un attelage de boeufs; est-elle
d'origine médiévale, chrétienne ou arabe, au d'origine antique? Onne
peut qu'être frappé du fait que l'acte carré de 0,1259 ha est, à peu de
choses prés, l'équivalent du 1I1Oe de cuadrado valencien (un cuadrado valant quatrejovadas) (14). Certaines grandes parcelles de la zone
de Burriana sont aujourd'hui encore recoupées par deux chemins parallèles qui divisent la surface en trois parcelles allongées de 386,66
m. sur 1160 m.: ceci peut être mis en rapport avec certains modes de
découpage des terres à l'époque médiévale. Au niveau élémentaire de
la pièce de terre, il semble que lajovada ait été utilisée pour découper
et répartir ces rmages. On sait que Jaime l l'utilise comme mesure
agraire mais, au XIIIe siècle, sa valeur diffère d'un lieu à}' autre (15);
étymologiquement, l'origine du terme a parfois été rapprochée du
berbère cljebda: il semble qu'il s'agisse là de la transcription, en langue berbère, d'un terme hispanique médiéval local dérivé lui-même
du latin iugum. n serait donc assez logique d'admettre une origine
hispano-romaine au terme et éla superficie de 2,99 ha à 3,01 ha qu'il
recouvre. On croit découvrir ainsi une remarquable permanence du
système cadastral et du paysage agraire qui en résulte: alors que les
chemins médiévaux puis, davantage encore, les tracés modernes routiers et autoroutiers recoupent en diagonale le parcellaire, celui-ci
conserve, à travers les siècles, comme base de son organisation, les
j 121 Voir. par exemple, M. PONSICH; cImplantation rurale antique ~ur la Bas-Guadalquivir». Cese
de Veh'izquez. Série fArchtlologie., miro. 2. Madrid, 1974.
(131 ROSSELLO VERGER, op. ci!, p. 24.
1141 Quatrejovadas de 3.01 ha chacune, soit 12,04 ha.
051 F. MA'fEU y lLOPIS: dovada., Gran Enciclopedîa do la Regi6n Valenciana, VI. Val~ncia,
1975, paE- 81.
-
265 -
[page-n-286]
A. BAZZANA
axes et les orientations de l'antique centuriation ainsi qu'une valeur
approchée de l'ancien mode de mesure des superficies. Dix actes
carrés romains équivalent, à peu près, è. un cuadrado médiéval et
l'organisation spatiale des cuadrados etjovadas apparatt souvent, du
moins dans notre exemple, sous la forme de parcelles allongées, sé~
parées par un squelette géométrique de chemins parallèles distants
d'environ 355 m. l'un de l'autre (16).
La constatation faite précédemment de l'existence d'éléments de
cadastration hispano-romaine d'orientation différente selon les sec~
teurs considérés ne paratt s'expliquer que par référence à un axe majeur de communication, antérieur à la présence romaine ct auquel les
arpenteurs antiques se sont référés pour organiser leurs centuriations.
III
UN ITINERAIRE ANTIQUE, PRE-ROMAIN, DANS LA PLAINE
DE CASTELLON
1a seule indication El Caminds se trouve, pour le secteur considéré, portée au sud-est de Caste1l6n, approximativement en
9125.6047; c'est donc à partir de ce point que l'on a essayé de retrouver le tracé d'origine de la voie ancienne. Au nord, pas de difficultés
particulières, .mais un itinéraire menant à La Magdalena; vers le sud,
en revanche, la difficulté m~eure est fournie par le nécessaire franchissement de l'estuaire du rio Mljeras et, corrélativement, la recherche d'un prolongement hypothétique du «grand chemin» vers Burriana puis Nules. A côté de l'indication cartographique, nous savons
par ailleurs qu'entre le Mijares et Burriana l'expression El Gaminas
recouvre aujourd'hui dans la tradition orale le Gamina dels Carnissers.
La première hypothèse, la plus simple, consistait à tenter de vé;rifier si l'on se trouvait -ou non- en présence d'une voie d'époque romaine; mais l'application à toute la zone de Castell6n-AlmazoraBurriana-Nules des
trace de l'emploi de l'unité de mesure habituelle pour les travaux de
centuriation. En revanche, en travaillant sur papier calque, au cam061 LOPEZ GOMEZ, op. dt. pp. lJl·ln.
[17) Es.a! de jalonnement à la longueur du mllle romain Il.480 m.), normalement utilisé pour le •
. centuriations en milieu rural, puia de la Uaue romaine (de 2.222 m.1 et analysa du tracé dan. ses rapports
avec Jes données de la géographie physique .
. - 2ab -
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VESTIGES DE CENTURIATIONS
"
pas à pointe séche, on voit apparaltre sur la carte topographique un
ensemble de points caractéristiques dont la succession et la position à
distance réguliére attestent la présence d'un itinéraire ancien, partiellement abandonné par la voirie contemporaine.
Deux secteurs peuvent être distingués. Sans vouloir rechercher
plus au nord, vers le cerro de La Magdalena, les traces d'un prolongement vers l'intérieur de cet itinéraire, on peut cependant cartographier une série de points caractéristiques, réguliérement espacés
et séparés, en moyenne par une distance de 2325 m.; Bouvent, à midistance, un point intermédiaire est attesté par un carrefour ou un
embranchement de chemin. La succession des points retenus (1 à Il)
constitue le jalonnement de cet ancien itinéraire dont le module de
mesure des longueurs est de 2325 m. ou, plutOt, de 4650 m.; on remarquera que l'un des points ainsi mis en évidence correspond à l'actuel centre urbain de Burnana .
• Secteur 1 (Caste1l6n do la Plana-Almazora):
1. En 9133.5086, point mis en évidence par des mesures de distances depuis le carrefour, en 9131.6096, de l'itinéraire ancien avec
le Camina Vell de Barcelona; ce point est cependant douteux, malgré
sa netteté sur la carte, car il est fortement oblitéré par le passage de la
voie ferrée.
2. Carrefour de la Venta de Chelina, en 9128.6064; point intermédiaire sur le carrefour de rive droite du rio Seco.
3. Carrefour de la Villa Anita, en 9124.6041: la branche latérale ouest est tronquée par la zone urbaine de Casto1l6n, la branche est,
peu visible à proximité d'El Caminds, .se retrouve aisément BOO m.
plus loin sur le tracé du Camina major de la Mar,' point intermédiaire à un carrefour de chemins orthogonaux dont les branches latérales sont presque totalement abandonnées par la voirie actuelle.
4. Point en 9116.6022. Le point intermédiaire se situerait sur la
branche supérieure (nord) d'un carrefour triangulaire, en 9119.6032.
5. Petit carrefour à proximité immédiate de la Acequia del Batdn, en 9109.5998j point intermédiaire en limite des territoires municipaux de Caste1l6n et d'Almazora.
Le point intermédiaire entre nos numéros 5 et 6 se situerait encore sur la rive gauche du rio Mijares, au carrefour d'El Caminds avec
le Gamina de Vilamancarra (fig. 2) .
• Secteur 2 (Hurriana-Nules):
6. Le point 6 du jalonnement est situé dans la zone confuse de la
rive droite du rio Mijares. Une fois le fleuve franchi à gué, plusieurs
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287 .
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A. BAZZANA
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El Caminâs. Trace de l'itinéraire antique d'après la carte au 1/50.000e et points caractéristiques
du jalonement
Secteur 1; Castellon de la Plana - AImuora. Voir la légende de 1... figure 3
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VESTIGES DE CENTURIATIONS
"
tracés sOnt possibles à partir de Almacén de Polo. Le point devrait
pouvoir être placé vers 9108.5979.
7. La photographie aérienne suggère trois itinéraires possibles
pour El Camindsi en l'absence de travaux au sol, il n'est pas souhaitable de choisir entre ces trois tracési il semble simplement qu'il faille
plutôt rechercher le point 7 sur le Gamina de Santa Pauet, en
9094.5955. Le point intermédiaire se place en 9102.5963.
8. Ce point se trouve placé sur la rive droite du rio SecQ, en plein
coeur de la ville de Burriana qui apparatt ainsi comme un élément essentiel de cet itinéraire.
9. En 9056.5924, au carrefour de la Ermita de la Sagrada FamilÏJa; point intermédiaire incertain.
10. Point en 9043.5904, où les limites administratives de Burriana et de Nules recoupent El Gaminas; point intermédiaire au croisement du Gamina Facos.
Il. Un dernier point n'a pas été cartographié mais se trouve en
9027.5887, au carrefour de l'Azagador del Belcaide (nom actuel du
«grand chemin» sur le territoire de Nules) et de la branche est du CamirlJO de la Mar; point intermédiaire au croisement du Camina del Cabeçol lfig. 3).
Dans ces deux secteurs, il y a surimposition évidente du réseau
médiéval et moderne de communication é. un réseau antique, romain
ou pré-romain, ce qui atteste la précocité de la mise en valeur de la
plaine côtière et le rôle moteur, dans cette mise en valeur, d'une ville
comme Burriana, seule concernée par le tracé d'El Caminas alors que
les autres vi11es actuelles apparaissent comme des éléments étrangers
au paysage antique.
Sauf une ou deux exceptions, situées dans la partie nord de la zone étudiée, il semble que la distance approchée entre deux points caractéristiques (ou entre deux points intermédiaires) soit supérieure à
2220 m., souvent voisine de 2320 m.; la précision des mesures sur
une coupure au 1/50.000e est évidemment insuffisante pour descendre li la lecture de longueurs d'un mètre. Cette distance approximative de 2320 m., utilisable pour repérer les points dejalonnement de l'itinéraire principal d'El Caminds et qui atteste l'ancienneté de cet axe
de communication traversant 13umana, paratt ne plus exactement
convenir pour rendre compte de l'organisation du réseau orthogonal
des chemins de desserte de part et d'autre de la voie centrale; l'écartement des branches du compas nous donne très souvent, surtout
dans le secteur nord, une mesure quelque peu inférieure au module
utilisé pour El Caminds et apparemment proche de la lieue romaine
31
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A. BAZZANA
... ...
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•
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Fie. 3
El Caminâs. Tracé de l'itinéraire d'aprés la carte au 1/50.000e et points caractéristiques
du jalonnement
Secteur 2: Burriana _ Nules
1.
2.
3.
4.
El Caminâs et éléments des centuriations.
CenturiatiODS, restitutions incertaines.
Voirie actuelle.
Limite de térmîno municipal.
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VESTIGES DE CENTURIATIONS
15
(2222 m.) ou du mille et demi {14BO + 740 m. soit 2220 m.J. Faut-il admettre, en conséquence, l'emploi successif - lors de deux périodes
historiques consécutives - d'une double métrique: l'une antérieure à
la période romaine et bornant une voie cOtiére traversant la cité de
Burriana,l'autre contemporaine de l'occupation romaine et servant à
l'établissement d'un ou de plusieurs cadastres?
IV
CONCLUSIONS
Sous réserve de vérifications ultérieures et de travaux complémentaires sur le terrain, on peut énoncer, en résumé, les premières
conclusions suivantes.
1. L'expression traditionnelle d'El Caminds parait recouvrir,
dans la région de Burriana et de Caste1l6n, une voie ancienne, d'origine sans doute indigéne et ant~rieure à la présence romaine, voie drainant la plaine côtiére et desservant le petit noyau urbain, déjà existant, de Burriana.
2. L'analyse cartographique cOIlÎlI'me l'ancienneté d'une implantation humaine à Bumana et, en tout cas, l'antériorité de la cité
de Burriana par rapport à Caste116n, bien s'O.r, mais aussi à d'autres
villes de la plaine comme Almazora ou Nules; elle montre enfin le rôle
d'animatrice, de la cité, dans le processus de mise en valeur de l'espace rural côtier.
3. La mise en évidence de plusieurs centuriations romaines, d'orientations différentes, à quelques kilomètres de distance, confirme
l'importance de l'itinéraire côtier de Valencia à Tortosa. Pour le secteur de Nules-Burriana-Almazora-CasteIl6n, le tracé des centuriations, tel
qu'il appara1t à travers les inilices fournis par la photographie aérieIllle et la carte topographique, montre que l'on n'a pas
cherché à orienter le parcellaire selon l'axe géométrique et traditionnel nord~sud; ce n'est certes pas un cas unique dans le monde romain
et l'on sait que souvent le relief influa sur le choix de l'orientation du
cardo maximus; parfois aussi, comme le signale Raymond Chevallier,
«Dans les pays de relief compliqué, le Romain s'est trouvé parfois heureux de bénéficier d'un tracé préceltique, naturellement peu rectiligne» flB); il semble bien que cela s'applique aux centuriations côtières
de la plaine de Castellôn et que leur orientation d'ensemble ainsi
que les changements successifs d'orientation 5' expliquent par la présenIlfl)
CHEVALLIER. op. clt .. p. 13?
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A. BAZZANA
ce du «vieux chemin» auquel les arpenteurs romains se sont référés et
sur lequel ils ont accroché leur cadastre.
4. La carte topographique indique que le réseau vicinal antique
a été parfois réutilisé par les routes plus récentes, mais souvent aussi
soit complètement abandonné par les nouvelles constructions routières (au réseau en étoile autour des centres urbains), soit rélégué au
rang de petits chemins de desserte très locale. La question qui se pose
dès lors est de savoir si l'on pout inférer de cette disparition partielle
du réseau antique et du cadastre qu'il supporte l'indication d'une évolution soda-économique qui aurait entraîné l'abandon des cadres
antérieurs; la crise du Bas-Empire et de l'époque romaine tardive
pourrait bien être en cause, crise suivie de la période assez obscure du
très haut Moyen-âge puis de la réoccupation du sol par des populations «neuves» et dynamiques; on pourrait alors faire référence à la
densité des implantations berbères telle qu'elle apparatt dans la toponymie (19) et à l'examen des nombreux vestiges archéologiques
d'époque médiévale de toute la région de Caste116n de la Plana (20),
(19) P. GUICHARD: _Le peuplement de Valenca aux deux premiers siècles de la domination musulmane •. Mélanges de la Casa de Velâzquez, V. Medrid, 1969, pp. 103-15S.
120) A. BAZZANA et P. GUICHARD: iRechefches sur les habitats musulmans du Levant espagnol>.
Atti dei Colloquio Intemazionale dl Arahoologla Medievale (Palerme, septembre 1974). T." I. Palerme,
1976, pp. 59-100.
A. BAZZANA: «Le. village. désertés de l'Espagne orientale: état pré.ent et perspectives d'une recher·
che archéologique»; Il peraître dans Archéologie Médiévale, VIII, uns.
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