
L’abri nº 2 de Pierre Rousse (Beauregard-Baret, Drôme)
Philippe Hameau
D. Vaillant
[page-n-139]
ARCHIVO DE PREHISTORIA LEVANTINA
Vol. XXII (Valencia, 1997)
Philippe HAMEAU* et Daniel VAILLANT**
L'ABRI N° 2 DE PIERRE ROUSSE (BEAUREGARD-BARET, DRÔME)
Résumé: L'abri n° 2 de Pierre Rousse est un site orné de peintures schématiques au pied desquelles
un sondage a restitué du mobilier archéologique. La figure qui domine est la ligne brisée, caractéristique
des abris peints de la Drôme. Plusieurs autres figures montrent un cas d'association de signes qui n'est
connu que dans une cavité peinte du Var. Le matériel lithique et céramique semble constituer les vestiges
d'un rituel assez proche des pratiques funéraires.
Resumen: El abrigo num. 2 de Pierre Rousse (Piedra Roja) es una estaci6n con pinturas esquematiças. Un sondeo efectuado al pie de las pinturas ha proporcionado materiaIes arqueol6gicos. La figura
dominante es la lfnea quebrada, caractenstica de los abrigos pintados de la Drôme. Otras varias figuras
muestran un caso de asociaci6n de sig nos que s610 se conoee en una cavidad ornada deI Var. Los materiaIes lfticos y eeramicos recuperados pareeen constituir los vestigios de un rituaI ligado a las practicas
funerarias.
J.
PRESENTATION
1. LE SITE
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est un petit porche creusé au pied de la barre sommitale qui
surplombe le ravin de Tête d'Homme sur la commune de Beauregard-Baret (Drôme), Le site est
exposé au sud. La falaise mesure une cinquantaine de mètres de haut et est corn,posée des calcaires du Valanginien supérieur. L'altitude du site est de 750 Ill. au-dessus d'un talweg à 550 m
environ. On y accède par un sentier étroit et escarpé qui s'écarte du chemin goudronné quelques
centaines de mètres en amont du Passage du Tour.
*
**
E.R.A. 36 du C.R.A du C.N.R.S., 14. av. Frédéric Mistral F83136 Forcalqueiret.
SAVOlR, Le Logisson F07000 Saint~Julien en Saint-Alban.
-l39-
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2
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
a
KM
50
•
ABRID'ESON
BAUME
•
LEVANT DU LEAUNIER
Fig. 1.- Localisation du site de Pierre Rousse et des trois abris ornés
de lignes brisées du département de la Drôme.
-140-
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L'ABRI N. a 2 DE PIERRE ROUSSE
3
Le porche proprement dit mesure 10 fi de large et 8 m de profondeur pour une hauteur sous
auvent de 3 m. Devant cette partie couverte, un éboulis s'est formé avec les blocs tombés de la
falaise. Cet amas de pierres a du être grossièrement arrangé pour accroître la surface abritée et
constituer une limite autant qu'un moyen de canaliser le troupeau en cas de parcage des bêtes.
Les parois de l'abri sont de teinte grise. Elles sont orangées dès que l'on sort du surplomb, accidentées dans la partie occidentale du pied de la falaise et lisses du côté oriental. Les figures ont
été peintes sur support orangé uniquement tant accidenté que lisse. On les observe donc à droite
et à gauche du renfoncement. On compte deux autres porches à l'est de l'abri n° 2, aux parois
également lisses et orangées, mais qui n'ont pas été ornées.
2. LES PEIN11JRES
Les figures à l'ouest de l'abri sont résiduelles. Elles se sont estompées avec le temps et il
n'est pas évident que leur disparition soit dûe à une desquamatioo de la paroi. On en donne l'inventaire par le tableau suivant.
Tableau A
n.O fig.
description
teintes
Pantone
01
02
traces
?*
1,70
traces
traces
traces
?
traces
traces
traces
?
1,70 m
l,70m
1,20 m
1,10 m
03
04
05
06
07
support
~
?
?
?
?
hauteur
au sol
fi
0,60 m
0,60m
156U
Les pigments sont trop absorbés par le support pour que l'on puisse les
analyser avec le Pantone.
Les figures peintes à l'est du renfoncement sont les plus complètes bien que le support soit
fortement desquamé au-dessus et au centre du panneau. Les parois sont lisses à légèrement striées
à la suite du frottement de la paroi par les blocs qui peu à peu s'en sont détachés. La paroi représente en quelque sorte un miroir de faille. Cette paroi est oblique à 25° par rapport à la verticale
et est parcourue de plusieurs coulées de calcite, à gauche du panneau notamment. Celui-ci représente une surface ornée de 3 fi de large sur 2,20 m de hauteur. L'inventaire des figures est donné
comme suit:
-141-
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4
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
/'
)
;)
PAROI:
./
0
9
GRISE
ORANGEE
3
Fig. 2.- Plan du site de Pierre Rousse. Localisation des sondages 1 et 2 et des deux zones ornées A et B.
-142-
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L'ABRI N.o 2 DE PIERRE ROUSSE
5
A-B
C·D
o
m
3
Fig. 3.- Coupes de l'abri n° 2 de Pierre Rousse.
-143-
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6
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
Fig. 4.- Transcription du panneau B de Pierre Rousse.
A: paroi desquamée.
B: dépôts de calcite.
-144-
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L'ABRI N.· 2 DE PIERRE ROUSSE
HtLI'!;;''''U
1
B
teintes
Pantone
01
dév. vert
dév. hor.
hauteur
au sol
170U/
13 cm
17 cm
2,30m
1775U/
14 cm
24 cm
2,05 m
1775U/1655U
19 cm
17 cm
1,90 m
30 cm
m
m
ponctuations disposées selon une forme
ovale
02
traits horizontaux droits ou courbes et
03
signe
enU et
ponctuations
04
ligne brisée horizontale
I775U!
05
ligne brisée
1775U!
06
trait vertical et forme quadrangulaire
1775U!
20 cm
m
07
trait vertical et forme quadrangulaire
1775UI
21cm
m
08
trait
1775UI
14 cm
09
non interprétable
et
trait curviligne et traits verticaux
10
signe en U
1775U/
11
figure non
1775U!
12
ligne brisée horizontale
1775UI
cm
20;5 cm
1775UI
11,5 em
13
lignes brisées horizontales, ponctuation et
1775U!
62 cm
cm
1,40 m
6,5 cm
5cm
cm
13 cm
1,40 m
m
ID
1.05 m
lm
signe en U
14
trait
1775UI
cm
15
ligne brisée horizontale sous une
1775UI
Il cm
16
trait courbe
1775U/
Il cm
17
série de ponctuations
1775U/
14 cm
0,90m
21 cm
0,80m
horizontale
0,85 m
8em
0,65 m
156U!
support
3. LE CONTEXTE
Nous avons
à un. sondage
m
côté au centre
la zone abritée et un ",",'_VIj,,",
de 1 m x l,50 m sous
figures de la
Le premier
restitué aucun
archéologique. Nous
entrepris jusqu'à la profondeur de 0,60 m
qu'il ait été évident dès le sommet de la couche 3 que nous atteignions
JJJJ.Hl,"·Ul~LL,",ll1,",j.U sus-jacent au substrat calcaire.
est la
1.
2a.
sédiment brun à
très pulvérulent
brun moyen
cendres
-145-
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8
ph. HAMEAU et D. VAILLANT
~
,. J
Fig. 5.- Figures 2, 3 et4du ",on"
...-.eauB.
Fig. 6.- Figures n05,6et7du panneauB.
-146-
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L'ABRI N." 2 DE PIERRE ROUSSE
9
,.
1
Fig. 7.-
n°
15 et 17 du panneau B.
147-
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10
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
t
Fig. 8.-
n" 1, 9 et 8 du panneau B.
148
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L'ABRI N. o 2 DE PIERRE ROUSSE
2b.
3.
11
sédiment brun très clair très compacté à l'ouest de la couche 2a, on observe une
lentille où alternent cendres et charbons
argile claire mêlée de petits graviers dans sa partie supérieure
Le deuxième sondage montre un mélange de cendres, de quelques charbons de bois et d'une
mâtrice pulvérulente où doivent se mêler poussières d'origine éolienne et humus. Les pierres de
modules divers, issues de la dégradation de la paroi, sont extrêmement abondantes. Certaines présentent des traces de rubéfaction voire se fracturent, sans doute pour avoir été au contact d'un feu
violent. L'hétérogénéité des sédiments supérieurs du sondage n° 2 est peut-être dûe à des superpositions multiples de petites poches cendreuses, à des petits amas juxtaposés, et dont la texture
est trop lâche pour permettre l'individualisation à la fouille. Ces sédiments d'une puissance de
0,30 m environ reposent sur une couche brun clair très compé\cte correspondant à la couche 3
observée dans le premier sondage.
Le matériel archéologique a été recueilli dans la couche pulvérulente du sondage n° 2.
Industrie lithique
Ont été mis au jour, une lamelle brute et treize lamelles retouchées, deux éclats bruts et
quatre éclats retouchés. Deux fragments d'une même lamelle recollent. Le débitage lamellaire
par pression est le mode de débitage le mieux représenté puisqu'il concerne 11 éléments sur 14.
Toutefois, certaines pièces débitées par pression portent aussi les stigmates d'enlèvements par
percussion; il s'agit sans doute plus de réfections de la table laminé\ire que de l'existence de plusieurs stades d'exploitation du nucléus. Il n'apparait en effet aucune chronologie dans les modes
de débitage. Aucune des lamelles n'a fourni les preuves d'un traitement thermique du nucléus initial. En revanche, les 6 éclats sont difficiles à replacer dans la chaine opératoire.
L'une des lamelles porte les traœs d'un micropoli bifacial sur l'arête gauche et, moins évident, sur l'arête droite. Le micropoli du bord gauche est typique du travail des végétaux et les
stries parallèles au bord pourraient indiquer un mouvement longitudinal. Le sciage est probable
(HELMER, 1983). L'examen au microscope de toutes les pièces nous fait supposer l'utilisation de
quatre autres éléments lithiques, deux éclats et deux lames. Le micropoli y est trop peu développé
pour que l'on puisse en tirer quelque conclusion.
Céramique
Nous avons retrouvé 20 tessons dont 2 bords et un fragment de carène légère. Nous estimons à 6 le nombre minimal de récipients. Aucune forme n'est reconstituable graphiquement.
On compte néanmoins un pot de petite taille (10,5 cm de diamètre à l'embouchure), probablement une tasse, dont la lèvre est biseautée côté interne. La pâte est cuite de façon homogène jusqu'au coeur. Les épidermes ont une teinte beige et présentent un polissage soigné. Un second
récipient de taille moyenne (18 cm de diamètre à l'embouchure) a sans doute une fonction culinaire, supposée par ses parois droites et sa panse épaisse. La pâte grossièrement dégraissée à la
calcite est cuite de façon homogène. La teinte noire des épidermes est rehaussée par un lissage
correct non suivi de polissage. Il n'y a pas de récipient de stockage. Les tessons expriment les
restes de 3 récipients de petite taille et 3 récipients de taille moyenne. C'est une vaisselle d'u-
-149-
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Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
12
-
1
1.
V
o
f I 1i 112~ltfrr 1111
.--LL-L--1r'-:-L-:-..L...+1--:,--,"
. '-f--
3
50
Fig. 9.- Coupe stratigraphique du sondage 1 de Pierre Rousse.
4
Fig. 10.- Matériel recueilli dans le sondage 2 de Pierre Rousse:
1 et 2 lames en silex, 3 perle en os, 4 céramique fine.
-150-
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L'ABRI N: 2 DE PIERRE ROUSSE
13
sage courant, très fragmentée, ayant subi l'érosion de ses surfaces et même de ses arêtes, peutêtre à la suite d'un séjour prolongé à l'air libre.
Parure
II a été retrouvé urie perle en os, façonnée sur une esquille que l'on a biseautée puis polie.
La perforation a été faite à partir des deux surfaces. On note aussi un éclat de quartz hyalin de
1,2 cm de long.
Faune
On dénombre 27 os ou fragments osseux animaux dont 4 sont brûlés. Ces os présentent un
émoussé de leurs arêtes et aucun ne porte de traces de découpe.
L'abri nO2 de Pierre Rousse constitue un nouveau jalon de l'art schématique postglaciaire
dans le sud de la France. Cette expression artistique est désormais connue dans une quarantaine
de sites dont l'analyse a pennis d'exprimer les principales caractéristiques (HAMEAU, 1989).
Toutefois, c'est dans la Péninsule ibérique que les sites ornés de telles figures sont les plus nOmbreux. L'emplacement du site n'est pas fortuit. II répond à de nombreuses exigences, qu'elles
soient d'organisation des terroirs ou simplement de configuration du terrain. Les figures exprimées par la peinture sont issues d'un corpus restreint et répondent à une symbolique régie par des
lois rigoureuses. La connaissance de ces principes permet de formuler quelques hypothèses interprétatives. Le mobilier censément associé aux peintures donne quelques indications chronologiques sur celles-ci mais doit essentiellement permettre d'évoquer les pratiques cultuelles qui lui
sont liées.
TI.
IMPLANTATION DU SANCTUAIRE
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est en position élevée. L'expression "sites remarquables" est
souvent employée pour exprimer la situation de tels sanctuaires mais elle ne correspond en fait
qu'à 17% d'entre eux. En revanche, la vue est dégagée vers le sud, de l'est à l'ouest, comme c'est
le cas pour 98% des sites peints. Cette exigence d'une orientation en fonction du soleil explique
que toutes les cavités d'une même vallée ou d'une même barre sommitale ne soient pas systématiquement choisies pour l'ornementation. Elle nous rappelle l'orientation des dolmens. Bien
entendu, d'autres contraintes, de parois notamment, peuvent contribuer à la désaffection de cer~
tains abris.
La prédilection des Préhistoriques va en effet aux supports de teinte ocrée. Le toponyme
Pierre Rousse est à ce titre révélateur tout comme celui des Roches Rouges qui signale l'abri
peint d'Eson (Pont-de-Barret, Drôme). La coloration est naturelle dans la plupart des cas.
Toutefois, l'analyse des pigments a confirmé que la paroi grise de l'abri A des Eissartènes (Le
Val, Var) a été badigeonnée d'ocre préalablement à la réalisation des figures (HAMEAU, 1995).
Le site de Pierre Rousse est picturalement un site de pied de falaise et non un abri au sens littéral du terme puisque les parois grises du renfoncement n ' ont pas été ornées. La zone abritée
n'a pas été occupée pour autant. C'est là une caractéristique des abris peints, réservés à l'art et
-151-
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L4
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
ses manifestations annexes, et éloignés des habitats. Bien que la prospection des abords de
l'abri n° 2 de Pierre Rousse ait été superficielle, la localisation du site nous laisse imaginer un
abri entouré de bois et éloigné des habitats permanents de la plaine et de leurs champs. Les abris
voisins de l'abri peint ne présentent eux-mêmes aucun remplissage ou mobilier susceptibles
d'évoquer une occupation des lieux fut-elle ponctuelle. Comme on le constate pour la plupart
des abris peints, Pierre Rousse était sans doute au coeur d'une zone prioritairement dévolue aux
activités cynégétiques. Le resserrement du vallon que constitue le Passage du Trou est
aujourd'hui encore le passage obligé du gibier vers les points d'eau en même temps que le poste
d'observation des chasseurs.
III.
ORNEMENTATION DU SANCTUAIRE
On ne peut pas tirer beaucoup d'enseignements des figures du panneau A, à l'oueSt de l'abri.
Il est surprenant que certaines d'entre elles soient peintes si près du sol à moins que cèlui~ci ait
été beaucoup plus bas à l'origine. C'est peu probable. Le support se prête mal à l'extension des
figures mais il présente l'avantage de compartimenter celles-ci. Le même découpage est observable pour les figures de l'abri d'Eson (Pont-de-Barret, Drôme) (HAMEAU, 1992).
Le panneau B offre en revanche de nombreux éléments à notre analyse.
Les peintures ont été réalisées sur un support en cours de desquamation, observation qui.
résulte de la position de la figure n° 10. On constate par ailleurs qu'il y a peu de figures dont une
partie soit manifestement tombée en même temps que le support. Les figures partielles ou difficilement reconstituables sont plutôt, soit altérées par l'érosion, soit masquées ou absorbées par le
concrétionnement. L'ensemble des figures a été réalisé semble-t'il au doigt avec un pigment de
même nature (hématite ?) èe que traduit larégularité des observations chromatiques. Il s'agit d'un
rouge carmin qui fonce peu en le mouillant (essai sur la figure n° 3 uniquement). Seule la figure
n l s'écarte du groupe par sa teinte rosée.
La figure qui domine est la ligne brisée (ou zigzag) horizontale. Elle est simple dans trois
cas. Elle est triple, en un emboitement vertical, pour la figure n° l3. Elle est ordonnée en fonction d'une ligne droite horizontale pour la figure n° 15.
Ce motif est connu, sans être fréquent, en Espagne où existent même des exemples de lignes
brisées emboitées (Covacho de Laborta ou Covacho de Barfaluy l, province de Huesca). En
France, il constitue une des caractéristiques des sites peints du département de la Drôme puisqu'on le connait à Baume Ecrite (Pommerol), à l'abri d'Eson (Pont-de-Barret) et à la grotte du
Levant du Leaunier (Malaucène, nord du Vaucluse). Pierre Rousse est donc le quatrième site orné
de lîgnes brisées en même temps que le plus septentrional du groupe. Les lignes brisées emboitées existent aussi à l'abri d'Eson (figure n° 16 notamment) et les lignes brisées en pendentif
d'une ligne horizontale sont présentes à Baume Ecrite (figure c du panneau 1).
Ces figures se retrouvent encore sur leS stèles dites à chevrons de Provence et sur les plaquettes de schiste des structures sépulcrales collectives de la Péninsule ibérique. Leur association
ou leur substitution systématique au signe soléiforme nou~ ont amené à envisager une signification commune aux deux signes. Au sein d'un cycle philosophique dont les trois pôles seraient la
Vie (active), la Mort et la Fécondité, la ligne brisée aurait un sens eschatologique (HAMEAU,
1989 et 1992).
O
-152-
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L'ABRI N." 2 DE PIERRE ROUssE
15
d'exprimer picturalement la Mort est à mettre au
ih>
la
et associations
Dalger (Ollioules, Var) la reJ:~ré~;entatJ:on
En effet, Pierre Rousse
scalariforme et du
cas, ces
accompagnent d'autres
relation que nous exprimons comme suit:
f ' A ........
+
+
o
o
•
+~
+
•
+
+
1
o
une
PIERRE ROUSSE
GROTTE DAlOER
La
différence entre les deux associations de
réside
la dernière
TI
simple bâtonnet qui
à notre sens, la simplification extrême
(HAMEAU, 1989). Par contre, la grotte
exprime
, cet être
connu par les statues-menhirs et autres
figurée sous une forme
lement simplifiée. C'est qu'il s'agit d'un art schématique, c'est-à-dire d'une expression où
figures
sont transformées en
simples pictogrammes. Conformément à nQs
hypothèses, la disparité
associatives viendrait de ce
Pierre Rousse place le
la grotte
met le sien --ou du moins
philosophique sur un plan terrestre tandis
du sien
nous
au niveau
Rousse a
pour vecteur de son
philosophique tandis
prend
catalyseur de la
supérieur à l'homme.
sienne un
nombreux sites
gravés ou
expriment
ces deux niveaux d'expression. Dans le détail, les deux formules associatives sont difficiles à interpréter. André Glory
l''"'u,, .... que le
la
d'une
(GLORY,
d'un petit
à
Henri Breuil voyait
le signe
de dalles
du monde"
1933/35), cette échelle dont beaucoup de mythologies expliquent l'existence pour
de la terre au ciel. Cette explication, pour
qu'elle
et en quelque
sorte conforme à notre hypothèse des deux niveaux sémantiques, n'est appuyée sur aucun agencement significatif
figures dans l'un et l'autre site.
IV. FREQUENTATION
le
SANCTUAIRE
de
Rousse
peu de
Ceux-ci sont en apparence
avec
pigment. On n'observe aucun cas de <1l1rIP.rr\n<1lln
On ne
donc déduire l'intensité
153-
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16
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
de fréquentation du site par l'ornementation de la paroi. Le contexte archéologique est à ce titre
plus évocateur.
Le sondage au centre de l'abri lui-même n'a restitué, ni matériel, ni indice du passage de
l'homme. La lentille blanchâtre entre les couches 1 et 2b correspond sans doute à des funïiers ani~
maux, fumiers que l'on pourrait attribuer à des chamois aussi bien qu'à des moutons ou des
chèvres. Une occupation humaine -au sens d'habitat- même ponctuelle, nous aurait d'ailleurs
surpris car nous n'en connaissons aucun exemple à proxinïité immédiate des peintures dans le
sud-est de la France. Une sépulture aurait pu, à la rigueur, s'y trouver.
Le matériel trouvé au pied du panneau B est intéressant.
La plupart des sites peints qui ont donné quelque mobilier archéologique sont attribuables à
un Chalcolithique régional antérieur au Campaniforme. Les pratiques liées aux peintures se poursuivent toutefois jusqu'aux débuts de l'Age du Bronze comme le prouve la céramique retrouvée
aux abris Perret (Blauvac, Vaucluse) (HAMEAU, 1989).
On observe cependant pour certains sites les indices matériels d'une "tradition chasséenne".
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est de ceux-là. La finition de la céranïique, le débitage des lamelles
à la pression sont deux traits culturels ordinairement attribués aux Chasséens. Nous n'en faisons
pas des indices chronologiques qui donneraient une datation haute aux peintures de Pierre
Rousse. Nous constatons simplement, une fois de plus, que les expressions artistiques du
Chalcolithique ont leur genèse au Néolithique moyen.
L'aspect de la céranïique et de la faune nous fait penser que le mobilier est resté quelque
temps à l'air libre. Ce mobilier est très fragmenté et rares sont les recollages possibles. A l'exception d'un fragment de lame à réserve corticale, seules les lamelles de "plein-débitage" sont
représentées. Les matériaux utilisés sont diversifiés. Il semble donc qu'il s'agisse d'un matériel
apporté et non d'un matériel réalisé sur place. C'est un matériel qui a été piétiné comme nous
l'indiquent les fines retouches, anarchiques et ponctuelles, relevées sur la plupart des pièces lithiques (PROST, 1988) et l'état d'esquilles allongées par lequel nous parvient la faune. Il est vrai
que l'on pourrait assigner de tels faits à l'action mécanique d'enfouissement des vestiges. Les
sédiments sont en effet remaniés et mêlés de pierres de différents modules. Parmi ces sédiments
nous avons relevé des cendres et de rares et minuscules charbons de bois. Nous avons de fortes
présomptions d'un lien entre ces matières organiques brûlées et le matériel d'autant que la faune
et les pierres sorties du sondage ont manifestement subi l'action du feu.
Ce mobilier partiel n'est pas nécessairement le témoignage d'une mauvaise conservation des
vestiges sur le site à la suite de leur abandon. La zone où nous les avons trouvés a fonctionné
comme une fosse naturelle, délimitée et protégée par les gros blocs de l'éboulis. Le matériel n'a
pu glisser sur la pente. En revanche, nous pourrions supposer qu'il s'agit d'objets dont la valeur
votive n'exige pas qu'ils soient représentés dans leur intégralité. On peut imaginer que ces objets
aient été brisés sur le site, en dehors de la zone ornée et donc de notre sondage, ou en tout autre
lieu, et déposé au pied au pied des peintures dans un état fragmentaire.
La petite perle, le fragment de quartz hyalin, la thématique des figures, l'orientation de l'abri,
nous conduisent à la comparaison de ces restes mobiliers avec ceux que l'on met au jour dans les
sépultures collectives contemporaines des peintures. Les lamelles et les éclats bruts, les lamelles
et lames retouchées et manifestement utilisées mais souvent brisées et partielles, les récipients
incomplets, sont autant de vestiges qui accompagnent les sépultures au même titre que les armatures de flèches, poignards et autres haches polies. Si les derniers peuvent être conçus comme des
-154-
[page-n-155]
L'ABRI N.· 2 DE PIERRE ROUSSE
outils quotidiens, voire de ..... ~.~ ..,.... ~, nrt",nrf", à singulariser l'individu et
les éclats bruts et les tessons
lui sont d'une utilité moins
d'un rituel funéraire, les
de pratiques que l'on réitère
vU,,,,,,,,",,,,,, ? Il nous est impossible de
précisément à une telle lOtlernog~lt1cm
mobilier de Pierre Rousse. Nous
arguer d'un sens ~l:Jl:I~U;;Uh
partiels par la constatation
commune dans les "Ç~'UH.UHO"
ornés.
17
ensele seul
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sur les outils néolithiques du Proche Orient. Table ronde C.N.R.S., 8-10 juin 1
Travaux de la
maison de l'Orient, 5, Maison de l'Orient,
PROST, D.C. (1988): «Essai d'étude sur les mécanismes d'enlèvement produits par les façons
In S. BEYRIÈS (ed.): Industries
humain sur des silex
rnt:'én,[nPIf' et technologie. Vol. 2.
B.A.R., 411, pp. 49-63.
HELMER. D.
Note
devons la découverte de ce site à nos amis Géraldine et
LantheJme, Ont
à [' interarchéologique, M.Ch. Vaillant, A. A.C 0VIISU)t!-tl3me;aU, C. Chopin, S. Wallet, M. DeJefosse et nousL'industrie
a été
mêmes. La municipalité de Beauregard-Baret a
avec C.
1
,""UV""",
155
[page-n-156]
[page-n-157]
ARCHIVO DE PREHISTORIA LEVANTINA
Vol. XXII (Valencia, 1997)
Philippe HAMEAU* et Daniel VAILLANT**
L'ABRI N° 2 DE PIERRE ROUSSE (BEAUREGARD-BARET, DRÔME)
Résumé: L'abri n° 2 de Pierre Rousse est un site orné de peintures schématiques au pied desquelles
un sondage a restitué du mobilier archéologique. La figure qui domine est la ligne brisée, caractéristique
des abris peints de la Drôme. Plusieurs autres figures montrent un cas d'association de signes qui n'est
connu que dans une cavité peinte du Var. Le matériel lithique et céramique semble constituer les vestiges
d'un rituel assez proche des pratiques funéraires.
Resumen: El abrigo num. 2 de Pierre Rousse (Piedra Roja) es una estaci6n con pinturas esquematiças. Un sondeo efectuado al pie de las pinturas ha proporcionado materiaIes arqueol6gicos. La figura
dominante es la lfnea quebrada, caractenstica de los abrigos pintados de la Drôme. Otras varias figuras
muestran un caso de asociaci6n de sig nos que s610 se conoee en una cavidad ornada deI Var. Los materiaIes lfticos y eeramicos recuperados pareeen constituir los vestigios de un rituaI ligado a las practicas
funerarias.
J.
PRESENTATION
1. LE SITE
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est un petit porche creusé au pied de la barre sommitale qui
surplombe le ravin de Tête d'Homme sur la commune de Beauregard-Baret (Drôme), Le site est
exposé au sud. La falaise mesure une cinquantaine de mètres de haut et est corn,posée des calcaires du Valanginien supérieur. L'altitude du site est de 750 Ill. au-dessus d'un talweg à 550 m
environ. On y accède par un sentier étroit et escarpé qui s'écarte du chemin goudronné quelques
centaines de mètres en amont du Passage du Tour.
*
**
E.R.A. 36 du C.R.A du C.N.R.S., 14. av. Frédéric Mistral F83136 Forcalqueiret.
SAVOlR, Le Logisson F07000 Saint~Julien en Saint-Alban.
-l39-
[page-n-140]
2
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
a
KM
50
•
ABRID'ESON
BAUME
•
LEVANT DU LEAUNIER
Fig. 1.- Localisation du site de Pierre Rousse et des trois abris ornés
de lignes brisées du département de la Drôme.
-140-
[page-n-141]
L'ABRI N. a 2 DE PIERRE ROUSSE
3
Le porche proprement dit mesure 10 fi de large et 8 m de profondeur pour une hauteur sous
auvent de 3 m. Devant cette partie couverte, un éboulis s'est formé avec les blocs tombés de la
falaise. Cet amas de pierres a du être grossièrement arrangé pour accroître la surface abritée et
constituer une limite autant qu'un moyen de canaliser le troupeau en cas de parcage des bêtes.
Les parois de l'abri sont de teinte grise. Elles sont orangées dès que l'on sort du surplomb, accidentées dans la partie occidentale du pied de la falaise et lisses du côté oriental. Les figures ont
été peintes sur support orangé uniquement tant accidenté que lisse. On les observe donc à droite
et à gauche du renfoncement. On compte deux autres porches à l'est de l'abri n° 2, aux parois
également lisses et orangées, mais qui n'ont pas été ornées.
2. LES PEIN11JRES
Les figures à l'ouest de l'abri sont résiduelles. Elles se sont estompées avec le temps et il
n'est pas évident que leur disparition soit dûe à une desquamatioo de la paroi. On en donne l'inventaire par le tableau suivant.
Tableau A
n.O fig.
description
teintes
Pantone
01
02
traces
?*
1,70
traces
traces
traces
?
traces
traces
traces
?
1,70 m
l,70m
1,20 m
1,10 m
03
04
05
06
07
support
~
?
?
?
?
hauteur
au sol
fi
0,60 m
0,60m
156U
Les pigments sont trop absorbés par le support pour que l'on puisse les
analyser avec le Pantone.
Les figures peintes à l'est du renfoncement sont les plus complètes bien que le support soit
fortement desquamé au-dessus et au centre du panneau. Les parois sont lisses à légèrement striées
à la suite du frottement de la paroi par les blocs qui peu à peu s'en sont détachés. La paroi représente en quelque sorte un miroir de faille. Cette paroi est oblique à 25° par rapport à la verticale
et est parcourue de plusieurs coulées de calcite, à gauche du panneau notamment. Celui-ci représente une surface ornée de 3 fi de large sur 2,20 m de hauteur. L'inventaire des figures est donné
comme suit:
-141-
[page-n-142]
4
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
/'
)
;)
PAROI:
./
0
9
GRISE
ORANGEE
3
Fig. 2.- Plan du site de Pierre Rousse. Localisation des sondages 1 et 2 et des deux zones ornées A et B.
-142-
[page-n-143]
L'ABRI N.o 2 DE PIERRE ROUSSE
5
A-B
C·D
o
m
3
Fig. 3.- Coupes de l'abri n° 2 de Pierre Rousse.
-143-
[page-n-144]
6
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
Fig. 4.- Transcription du panneau B de Pierre Rousse.
A: paroi desquamée.
B: dépôts de calcite.
-144-
[page-n-145]
L'ABRI N.· 2 DE PIERRE ROUSSE
HtLI'!;;''''U
1
B
teintes
Pantone
01
dév. vert
dév. hor.
hauteur
au sol
170U/
13 cm
17 cm
2,30m
1775U/
14 cm
24 cm
2,05 m
1775U/1655U
19 cm
17 cm
1,90 m
30 cm
m
m
ponctuations disposées selon une forme
ovale
02
traits horizontaux droits ou courbes et
03
signe
enU et
ponctuations
04
ligne brisée horizontale
I775U!
05
ligne brisée
1775U!
06
trait vertical et forme quadrangulaire
1775U!
20 cm
m
07
trait vertical et forme quadrangulaire
1775UI
21cm
m
08
trait
1775UI
14 cm
09
non interprétable
et
trait curviligne et traits verticaux
10
signe en U
1775U/
11
figure non
1775U!
12
ligne brisée horizontale
1775UI
cm
20;5 cm
1775UI
11,5 em
13
lignes brisées horizontales, ponctuation et
1775U!
62 cm
cm
1,40 m
6,5 cm
5cm
cm
13 cm
1,40 m
m
ID
1.05 m
lm
signe en U
14
trait
1775UI
cm
15
ligne brisée horizontale sous une
1775UI
Il cm
16
trait courbe
1775U/
Il cm
17
série de ponctuations
1775U/
14 cm
0,90m
21 cm
0,80m
horizontale
0,85 m
8em
0,65 m
156U!
support
3. LE CONTEXTE
Nous avons
à un. sondage
m
côté au centre
la zone abritée et un ",",'_VIj,,",
de 1 m x l,50 m sous
figures de la
Le premier
restitué aucun
archéologique. Nous
entrepris jusqu'à la profondeur de 0,60 m
qu'il ait été évident dès le sommet de la couche 3 que nous atteignions
JJJJ.Hl,"·Ul~LL,",ll1,",j.U sus-jacent au substrat calcaire.
est la
1.
2a.
sédiment brun à
très pulvérulent
brun moyen
cendres
-145-
[page-n-146]
8
ph. HAMEAU et D. VAILLANT
~
,. J
Fig. 5.- Figures 2, 3 et4du ",on"
...-.eauB.
Fig. 6.- Figures n05,6et7du panneauB.
-146-
[page-n-147]
L'ABRI N." 2 DE PIERRE ROUSSE
9
,.
1
Fig. 7.-
n°
15 et 17 du panneau B.
147-
[page-n-148]
10
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
t
Fig. 8.-
n" 1, 9 et 8 du panneau B.
148
[page-n-149]
L'ABRI N. o 2 DE PIERRE ROUSSE
2b.
3.
11
sédiment brun très clair très compacté à l'ouest de la couche 2a, on observe une
lentille où alternent cendres et charbons
argile claire mêlée de petits graviers dans sa partie supérieure
Le deuxième sondage montre un mélange de cendres, de quelques charbons de bois et d'une
mâtrice pulvérulente où doivent se mêler poussières d'origine éolienne et humus. Les pierres de
modules divers, issues de la dégradation de la paroi, sont extrêmement abondantes. Certaines présentent des traces de rubéfaction voire se fracturent, sans doute pour avoir été au contact d'un feu
violent. L'hétérogénéité des sédiments supérieurs du sondage n° 2 est peut-être dûe à des superpositions multiples de petites poches cendreuses, à des petits amas juxtaposés, et dont la texture
est trop lâche pour permettre l'individualisation à la fouille. Ces sédiments d'une puissance de
0,30 m environ reposent sur une couche brun clair très compé\cte correspondant à la couche 3
observée dans le premier sondage.
Le matériel archéologique a été recueilli dans la couche pulvérulente du sondage n° 2.
Industrie lithique
Ont été mis au jour, une lamelle brute et treize lamelles retouchées, deux éclats bruts et
quatre éclats retouchés. Deux fragments d'une même lamelle recollent. Le débitage lamellaire
par pression est le mode de débitage le mieux représenté puisqu'il concerne 11 éléments sur 14.
Toutefois, certaines pièces débitées par pression portent aussi les stigmates d'enlèvements par
percussion; il s'agit sans doute plus de réfections de la table laminé\ire que de l'existence de plusieurs stades d'exploitation du nucléus. Il n'apparait en effet aucune chronologie dans les modes
de débitage. Aucune des lamelles n'a fourni les preuves d'un traitement thermique du nucléus initial. En revanche, les 6 éclats sont difficiles à replacer dans la chaine opératoire.
L'une des lamelles porte les traœs d'un micropoli bifacial sur l'arête gauche et, moins évident, sur l'arête droite. Le micropoli du bord gauche est typique du travail des végétaux et les
stries parallèles au bord pourraient indiquer un mouvement longitudinal. Le sciage est probable
(HELMER, 1983). L'examen au microscope de toutes les pièces nous fait supposer l'utilisation de
quatre autres éléments lithiques, deux éclats et deux lames. Le micropoli y est trop peu développé
pour que l'on puisse en tirer quelque conclusion.
Céramique
Nous avons retrouvé 20 tessons dont 2 bords et un fragment de carène légère. Nous estimons à 6 le nombre minimal de récipients. Aucune forme n'est reconstituable graphiquement.
On compte néanmoins un pot de petite taille (10,5 cm de diamètre à l'embouchure), probablement une tasse, dont la lèvre est biseautée côté interne. La pâte est cuite de façon homogène jusqu'au coeur. Les épidermes ont une teinte beige et présentent un polissage soigné. Un second
récipient de taille moyenne (18 cm de diamètre à l'embouchure) a sans doute une fonction culinaire, supposée par ses parois droites et sa panse épaisse. La pâte grossièrement dégraissée à la
calcite est cuite de façon homogène. La teinte noire des épidermes est rehaussée par un lissage
correct non suivi de polissage. Il n'y a pas de récipient de stockage. Les tessons expriment les
restes de 3 récipients de petite taille et 3 récipients de taille moyenne. C'est une vaisselle d'u-
-149-
[page-n-150]
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
12
-
1
1.
V
o
f I 1i 112~ltfrr 1111
.--LL-L--1r'-:-L-:-..L...+1--:,--,"
. '-f--
3
50
Fig. 9.- Coupe stratigraphique du sondage 1 de Pierre Rousse.
4
Fig. 10.- Matériel recueilli dans le sondage 2 de Pierre Rousse:
1 et 2 lames en silex, 3 perle en os, 4 céramique fine.
-150-
[page-n-151]
L'ABRI N: 2 DE PIERRE ROUSSE
13
sage courant, très fragmentée, ayant subi l'érosion de ses surfaces et même de ses arêtes, peutêtre à la suite d'un séjour prolongé à l'air libre.
Parure
II a été retrouvé urie perle en os, façonnée sur une esquille que l'on a biseautée puis polie.
La perforation a été faite à partir des deux surfaces. On note aussi un éclat de quartz hyalin de
1,2 cm de long.
Faune
On dénombre 27 os ou fragments osseux animaux dont 4 sont brûlés. Ces os présentent un
émoussé de leurs arêtes et aucun ne porte de traces de découpe.
L'abri nO2 de Pierre Rousse constitue un nouveau jalon de l'art schématique postglaciaire
dans le sud de la France. Cette expression artistique est désormais connue dans une quarantaine
de sites dont l'analyse a pennis d'exprimer les principales caractéristiques (HAMEAU, 1989).
Toutefois, c'est dans la Péninsule ibérique que les sites ornés de telles figures sont les plus nOmbreux. L'emplacement du site n'est pas fortuit. II répond à de nombreuses exigences, qu'elles
soient d'organisation des terroirs ou simplement de configuration du terrain. Les figures exprimées par la peinture sont issues d'un corpus restreint et répondent à une symbolique régie par des
lois rigoureuses. La connaissance de ces principes permet de formuler quelques hypothèses interprétatives. Le mobilier censément associé aux peintures donne quelques indications chronologiques sur celles-ci mais doit essentiellement permettre d'évoquer les pratiques cultuelles qui lui
sont liées.
TI.
IMPLANTATION DU SANCTUAIRE
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est en position élevée. L'expression "sites remarquables" est
souvent employée pour exprimer la situation de tels sanctuaires mais elle ne correspond en fait
qu'à 17% d'entre eux. En revanche, la vue est dégagée vers le sud, de l'est à l'ouest, comme c'est
le cas pour 98% des sites peints. Cette exigence d'une orientation en fonction du soleil explique
que toutes les cavités d'une même vallée ou d'une même barre sommitale ne soient pas systématiquement choisies pour l'ornementation. Elle nous rappelle l'orientation des dolmens. Bien
entendu, d'autres contraintes, de parois notamment, peuvent contribuer à la désaffection de cer~
tains abris.
La prédilection des Préhistoriques va en effet aux supports de teinte ocrée. Le toponyme
Pierre Rousse est à ce titre révélateur tout comme celui des Roches Rouges qui signale l'abri
peint d'Eson (Pont-de-Barret, Drôme). La coloration est naturelle dans la plupart des cas.
Toutefois, l'analyse des pigments a confirmé que la paroi grise de l'abri A des Eissartènes (Le
Val, Var) a été badigeonnée d'ocre préalablement à la réalisation des figures (HAMEAU, 1995).
Le site de Pierre Rousse est picturalement un site de pied de falaise et non un abri au sens littéral du terme puisque les parois grises du renfoncement n ' ont pas été ornées. La zone abritée
n'a pas été occupée pour autant. C'est là une caractéristique des abris peints, réservés à l'art et
-151-
[page-n-152]
L4
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
ses manifestations annexes, et éloignés des habitats. Bien que la prospection des abords de
l'abri n° 2 de Pierre Rousse ait été superficielle, la localisation du site nous laisse imaginer un
abri entouré de bois et éloigné des habitats permanents de la plaine et de leurs champs. Les abris
voisins de l'abri peint ne présentent eux-mêmes aucun remplissage ou mobilier susceptibles
d'évoquer une occupation des lieux fut-elle ponctuelle. Comme on le constate pour la plupart
des abris peints, Pierre Rousse était sans doute au coeur d'une zone prioritairement dévolue aux
activités cynégétiques. Le resserrement du vallon que constitue le Passage du Trou est
aujourd'hui encore le passage obligé du gibier vers les points d'eau en même temps que le poste
d'observation des chasseurs.
III.
ORNEMENTATION DU SANCTUAIRE
On ne peut pas tirer beaucoup d'enseignements des figures du panneau A, à l'oueSt de l'abri.
Il est surprenant que certaines d'entre elles soient peintes si près du sol à moins que cèlui~ci ait
été beaucoup plus bas à l'origine. C'est peu probable. Le support se prête mal à l'extension des
figures mais il présente l'avantage de compartimenter celles-ci. Le même découpage est observable pour les figures de l'abri d'Eson (Pont-de-Barret, Drôme) (HAMEAU, 1992).
Le panneau B offre en revanche de nombreux éléments à notre analyse.
Les peintures ont été réalisées sur un support en cours de desquamation, observation qui.
résulte de la position de la figure n° 10. On constate par ailleurs qu'il y a peu de figures dont une
partie soit manifestement tombée en même temps que le support. Les figures partielles ou difficilement reconstituables sont plutôt, soit altérées par l'érosion, soit masquées ou absorbées par le
concrétionnement. L'ensemble des figures a été réalisé semble-t'il au doigt avec un pigment de
même nature (hématite ?) èe que traduit larégularité des observations chromatiques. Il s'agit d'un
rouge carmin qui fonce peu en le mouillant (essai sur la figure n° 3 uniquement). Seule la figure
n l s'écarte du groupe par sa teinte rosée.
La figure qui domine est la ligne brisée (ou zigzag) horizontale. Elle est simple dans trois
cas. Elle est triple, en un emboitement vertical, pour la figure n° l3. Elle est ordonnée en fonction d'une ligne droite horizontale pour la figure n° 15.
Ce motif est connu, sans être fréquent, en Espagne où existent même des exemples de lignes
brisées emboitées (Covacho de Laborta ou Covacho de Barfaluy l, province de Huesca). En
France, il constitue une des caractéristiques des sites peints du département de la Drôme puisqu'on le connait à Baume Ecrite (Pommerol), à l'abri d'Eson (Pont-de-Barret) et à la grotte du
Levant du Leaunier (Malaucène, nord du Vaucluse). Pierre Rousse est donc le quatrième site orné
de lîgnes brisées en même temps que le plus septentrional du groupe. Les lignes brisées emboitées existent aussi à l'abri d'Eson (figure n° 16 notamment) et les lignes brisées en pendentif
d'une ligne horizontale sont présentes à Baume Ecrite (figure c du panneau 1).
Ces figures se retrouvent encore sur leS stèles dites à chevrons de Provence et sur les plaquettes de schiste des structures sépulcrales collectives de la Péninsule ibérique. Leur association
ou leur substitution systématique au signe soléiforme nou~ ont amené à envisager une signification commune aux deux signes. Au sein d'un cycle philosophique dont les trois pôles seraient la
Vie (active), la Mort et la Fécondité, la ligne brisée aurait un sens eschatologique (HAMEAU,
1989 et 1992).
O
-152-
[page-n-153]
L'ABRI N." 2 DE PIERRE ROUssE
15
d'exprimer picturalement la Mort est à mettre au
ih>
la
et associations
Dalger (Ollioules, Var) la reJ:~ré~;entatJ:on
En effet, Pierre Rousse
scalariforme et du
cas, ces
accompagnent d'autres
relation que nous exprimons comme suit:
f ' A ........
+
+
o
o
•
+~
+
•
+
+
1
o
une
PIERRE ROUSSE
GROTTE DAlOER
La
différence entre les deux associations de
réside
la dernière
TI
simple bâtonnet qui
à notre sens, la simplification extrême
(HAMEAU, 1989). Par contre, la grotte
exprime
, cet être
connu par les statues-menhirs et autres
figurée sous une forme
lement simplifiée. C'est qu'il s'agit d'un art schématique, c'est-à-dire d'une expression où
figures
sont transformées en
simples pictogrammes. Conformément à nQs
hypothèses, la disparité
associatives viendrait de ce
Pierre Rousse place le
la grotte
met le sien --ou du moins
philosophique sur un plan terrestre tandis
du sien
nous
au niveau
Rousse a
pour vecteur de son
philosophique tandis
prend
catalyseur de la
supérieur à l'homme.
sienne un
nombreux sites
gravés ou
expriment
ces deux niveaux d'expression. Dans le détail, les deux formules associatives sont difficiles à interpréter. André Glory
l''"'u,, .... que le
la
d'une
(GLORY,
d'un petit
à
Henri Breuil voyait
le signe
de dalles
du monde"
1933/35), cette échelle dont beaucoup de mythologies expliquent l'existence pour
de la terre au ciel. Cette explication, pour
qu'elle
et en quelque
sorte conforme à notre hypothèse des deux niveaux sémantiques, n'est appuyée sur aucun agencement significatif
figures dans l'un et l'autre site.
IV. FREQUENTATION
le
SANCTUAIRE
de
Rousse
peu de
Ceux-ci sont en apparence
avec
pigment. On n'observe aucun cas de <1l1rIP.rr\n<1lln
On ne
donc déduire l'intensité
153-
[page-n-154]
16
Ph. HAMEAU et D. VAILLANT
de fréquentation du site par l'ornementation de la paroi. Le contexte archéologique est à ce titre
plus évocateur.
Le sondage au centre de l'abri lui-même n'a restitué, ni matériel, ni indice du passage de
l'homme. La lentille blanchâtre entre les couches 1 et 2b correspond sans doute à des funïiers ani~
maux, fumiers que l'on pourrait attribuer à des chamois aussi bien qu'à des moutons ou des
chèvres. Une occupation humaine -au sens d'habitat- même ponctuelle, nous aurait d'ailleurs
surpris car nous n'en connaissons aucun exemple à proxinïité immédiate des peintures dans le
sud-est de la France. Une sépulture aurait pu, à la rigueur, s'y trouver.
Le matériel trouvé au pied du panneau B est intéressant.
La plupart des sites peints qui ont donné quelque mobilier archéologique sont attribuables à
un Chalcolithique régional antérieur au Campaniforme. Les pratiques liées aux peintures se poursuivent toutefois jusqu'aux débuts de l'Age du Bronze comme le prouve la céramique retrouvée
aux abris Perret (Blauvac, Vaucluse) (HAMEAU, 1989).
On observe cependant pour certains sites les indices matériels d'une "tradition chasséenne".
L'abri n° 2 de Pierre Rousse est de ceux-là. La finition de la céranïique, le débitage des lamelles
à la pression sont deux traits culturels ordinairement attribués aux Chasséens. Nous n'en faisons
pas des indices chronologiques qui donneraient une datation haute aux peintures de Pierre
Rousse. Nous constatons simplement, une fois de plus, que les expressions artistiques du
Chalcolithique ont leur genèse au Néolithique moyen.
L'aspect de la céranïique et de la faune nous fait penser que le mobilier est resté quelque
temps à l'air libre. Ce mobilier est très fragmenté et rares sont les recollages possibles. A l'exception d'un fragment de lame à réserve corticale, seules les lamelles de "plein-débitage" sont
représentées. Les matériaux utilisés sont diversifiés. Il semble donc qu'il s'agisse d'un matériel
apporté et non d'un matériel réalisé sur place. C'est un matériel qui a été piétiné comme nous
l'indiquent les fines retouches, anarchiques et ponctuelles, relevées sur la plupart des pièces lithiques (PROST, 1988) et l'état d'esquilles allongées par lequel nous parvient la faune. Il est vrai
que l'on pourrait assigner de tels faits à l'action mécanique d'enfouissement des vestiges. Les
sédiments sont en effet remaniés et mêlés de pierres de différents modules. Parmi ces sédiments
nous avons relevé des cendres et de rares et minuscules charbons de bois. Nous avons de fortes
présomptions d'un lien entre ces matières organiques brûlées et le matériel d'autant que la faune
et les pierres sorties du sondage ont manifestement subi l'action du feu.
Ce mobilier partiel n'est pas nécessairement le témoignage d'une mauvaise conservation des
vestiges sur le site à la suite de leur abandon. La zone où nous les avons trouvés a fonctionné
comme une fosse naturelle, délimitée et protégée par les gros blocs de l'éboulis. Le matériel n'a
pu glisser sur la pente. En revanche, nous pourrions supposer qu'il s'agit d'objets dont la valeur
votive n'exige pas qu'ils soient représentés dans leur intégralité. On peut imaginer que ces objets
aient été brisés sur le site, en dehors de la zone ornée et donc de notre sondage, ou en tout autre
lieu, et déposé au pied au pied des peintures dans un état fragmentaire.
La petite perle, le fragment de quartz hyalin, la thématique des figures, l'orientation de l'abri,
nous conduisent à la comparaison de ces restes mobiliers avec ceux que l'on met au jour dans les
sépultures collectives contemporaines des peintures. Les lamelles et les éclats bruts, les lamelles
et lames retouchées et manifestement utilisées mais souvent brisées et partielles, les récipients
incomplets, sont autant de vestiges qui accompagnent les sépultures au même titre que les armatures de flèches, poignards et autres haches polies. Si les derniers peuvent être conçus comme des
-154-
[page-n-155]
L'ABRI N.· 2 DE PIERRE ROUSSE
outils quotidiens, voire de ..... ~.~ ..,.... ~, nrt",nrf", à singulariser l'individu et
les éclats bruts et les tessons
lui sont d'une utilité moins
d'un rituel funéraire, les
de pratiques que l'on réitère
vU,,,,,,,,",,,,,, ? Il nous est impossible de
précisément à une telle lOtlernog~lt1cm
mobilier de Pierre Rousse. Nous
arguer d'un sens ~l:Jl:I~U;;Uh
partiels par la constatation
commune dans les "Ç~'UH.UHO"
ornés.
17
ensele seul
BIBLIOGRAPHIE
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de la Péninsule ibérique. Paris, Imp. de
GLORY, A.. SANz-MARTÎNEZ, J.; GEORGEOT, P. et NEUKIRCH, H. (1948): «Les Peintures de
pp. 7-135.
en France méridionale».
HAMEAU. Ph. (1989): Les Peintures
en Provence (inventaire, étude chronologique,
et iconographique). Documents d'Archéologie Française, 22, Paris, 124 p.
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HELMER. D.
Note
devons la découverte de ce site à nos amis Géraldine et
LantheJme, Ont
à [' interarchéologique, M.Ch. Vaillant, A. A.C 0VIISU)t!-tl3me;aU, C. Chopin, S. Wallet, M. DeJefosse et nousL'industrie
a été
mêmes. La municipalité de Beauregard-Baret a
avec C.
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